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DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

et qui très certainement n’abusèrent jamais des parabases[1], ne furent pas, que je sache, astreints à des restrictions d’âge[2]. Les comiques échappèrent eux-mêmes à cette gênante obligation, en faisant jouer leurs pièces sous le nom d’autrui. Deux comédiens, Philonide et Callistrate, qui avaient atteint l’âge légal, prêtèrent à Aristophane leur nom pour ses premières comédies, et leur talent pour presque toutes les autres. Eupolis, qui travailla très jeune pour la scène comique, se couvrit du nom de Démostrate. Cette loi tomba en désuétude avec les circonstances qui l’avaient rendue nécessaire. Elle ne survécut pas à la parabase.

Une autre loi du même temps, mais qui tenait au principe ou plutôt à l’instinct de la division des pouvoirs, interdisait aux juges de l’Aréopage de faire représenter des comédies, c’est-à-dire de faire des motions législatives. Plutarque me paraît manquer un peu de sa clairvoyance habituelle, quand il signale cette défense comme une preuve de l’opinion défavorable que les Athéniens avaient de la comédie[3]. Le peuple d’Athènes, au contraire, regardait, dans les beaux temps du théâtre, les fonctions de poète comique comme une sorte de magistrature, et il ne voulut pas réunir, même momentanément, dans une seule main le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

Nous venons de voir qu’une loi démocratique défendait de mal parler des morts sur le théâtre ; mais, quand l’oligarchie voulut préserver les vivans des blessures scéniques, elle crut pouvoir faire meilleur marché des morts, et les abandonna aux poètes. Aristophane déchira dans les Grenouilles Cléon et Hyperbolus qui n’existaient plus. La pièce entière n’est même qu’un dialogue des morts dirigé contre Euripide. La mode de ces évocations avait commencé vers la fin de la comédie ancienne. Eupolis, voulant montrer dans quelles mains inhabiles les affaires de l’état étaient tombées après la mort de Périclès, fit paraître, dans sa pièce intitulée les Démes, Solon, Miltiade, Aristide et Périclès[4]. Il est regrettable que d’une œuvre si impo-

  1. Sophocle et Euripide s’adressaient quelquefois au public par le moyen du chœur (Poll., lib. IV, cap. XVI, § III.). Pollux cite une parabase d’Euripide dans la tragédie de Danaé, où le poète, oubliant que le chœur est supposé composé de femmes, parle au masculin, ce qui d’ailleurs n’est pas sans exemple chez les tragiques. De plus, Euripide termine trois de ses pièces, Oreste, les Phéniciennes et Iphigénie en Aulide, en sollicitant la couronne.
  2. Sophocle obtint le prix pour la première fois à l’âge de vingt-huit ans. Marm. Oxon., epoch. LVII.
  3. Plutarch., De glor. Athen., tom. II, pag. 348, B.
  4. Aristid., Orat. plat., II, tom. III, pag. 374, C, ed. Cant., 1604.