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DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE.

avec le moins d’idées ? Les journaux s’élargissant, les feuilletons se distendant indéfiniment, l’élasticité des phrases a dû prêter, et l’on a redoublé de vains mots, de descriptions oiseuses, d’épithètes redondantes : le style s’est étiré dans tous ses fils comme les étoffes trop tendues. Il y a des auteurs qui n’écrivent plus leurs romans de feuilletons qu’en dialogue, parce qu’à chaque phrase et quelquefois à chaque mot, il y a du blanc, et que l’on gagne une ligne. Or, savez-vous ce que c’est qu’une ligne ? Une ligne de moins en idée, quand cela revient souvent, c’est une notable épargne de cerveau ; une ligne de plus en compte, c’est une somme parfois fort honnête. Il y a tel écrivain de renom qui exigera (quand il condescend aux journaux) qu’on lui paie deux francs la ligne ou le vers, et qui ajoutera peut-être encore que ce n’est pas autant payé qu’à lord Byron. Voilà qui est savoir au juste la dignité et le prix de la pensée. Il se rencontre des entrepreneurs charlatans qui consentent à ces excès de prétention pour avoir au moins un article et se parer d’un nom : cela se regagne sur l’actionnaire. Des hommes ignorans des lettres, envahissant la librairie et y rêvant des gains chimériques, ont fait taire les calculs sensés et ont favorisé les rêves cupides. Ainsi chacun est allé tout droit dans son égoïsme, coupant l’arbre par la racine. Chacun, en y passant, a effondré le terrain sous ses pas : qu’importe les survenans ? après nous le déluge ! L’écrivain ayant mis son cerveau en coupe réglée, il y a eu des mécomptes, bon an et mal an comme on dit : les livres vendus et payés d’avance n’ont pu toujours être faits. De scandaleux procès ont trop souvent éclairé ces misères. Quoi donc d’étonnant que la librairie, ainsi placée entre toutes les causes de ruine, entre son propre charlatanisme, les exigences des auteurs, les exactions des journaux, et enfin la contrefaçon étrangère, ait succombé ? Car il n’y a plus de librairie en ce moment que celle d’université, de droit, de médecine, de religion, précisément parce qu’en ces branches spéciales elle est restée à peu près soustraite aux diverses atteintes.

J’ai nommé la contrefaçon étrangère, et je l’ai nommée la dernière parce qu’en effet elle ne vient qu’en dernier lieu dans ma pensée, et qu’il y a bien d’autres causes mortelles avant celle-là. Tel ne paraît pas l’avis de beaucoup d’intéressés, et c’est à la contrefaçon étrangère presque uniquement qu’auteurs et éditeurs s’en sont pris dans la dernière crise. Je crois pourtant qu’eux-mêmes les premiers ont fait beau jeu à la contrefaçon belge, qui se fonde avant tout sur le débit