Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
85
DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

plus ramassés, par la raison fort simple que les filamens ou brins sont moins longs.

Il ne nous reste qu’une observation à faire pour compléter notre exposé. Il y a trois manières de travailler le lin : à sec, à l’eau froide ou à l’eau chaude. C’est sur le métier à filer que ces différences s’observent. Quand on travaille à sec, les choses se passent exactement comme on l’a vu. Pour travailler mouillé, on se contente de placer au-dessus du métier, dans sa longueur, un bac rempli d’eau, froide ou chaude, selon le résultat que l’on veut obtenir. Dans ce cas, les bobines qui portent les rubans sont placées au-dessus de ce bac, de manière que les rubans traversent l’eau avant d’arriver à l’appareil fournisseur. Cette eau, dans laquelle le lin trempe avant l’étirage, a pour effet, au moins l’eau chaude, de dissoudre le gommo-résineux dont il est enduit. De cette façon, il se relâche davantage. Les fibrines, dont chaque filament est composé, se détachent les unes des autres, de manière que, sans qu’il survienne aucune rupture, il se produit un grand nombre de solutions de continuité qui favorisent l’allongement de la matière. Mais, pour que cet allongement se fasse sans rupture, on est obligé de rapprocher les appareils. On comprend d’ailleurs que l’eau chaude ne s’emploie que pour les numéros plus fins.

Tel est ce système avec tous ses principes constitutifs. Comme on le voit, il est fort simple au fond ; ce qui n’empêche pas que, dans le travail de l’invention, il n’y ait eu d’immenses difficultés à vaincre. Aujourd’hui que ces difficultés sont vaincues, on s’étonne quelquefois qu’elles aient arrêté si long-temps les inventeurs ; mais, quand on examine de plus près, on tombe dans un étonnement contraire. En voyant l’harmonie qui règne entre toutes les parties de ce système, l’heureuse disposition des mécanismes, la perfection de leur jeu, et la prévoyance infinie qui a présidé à l’exécution des détails, on ne peut s’empêcher d’admirer le génie de l’homme, et l’on comprend que ces machines soient le fruit de cinquante années de travaux ; aussi bien que du concours de tant d’intelligences.

Qui le croirait ? Cet emploi de l’eau chaude, si facile à comprendre aujourd’hui, est une des difficultés contre lesquelles l’ancienne filature française a constamment échoué. On a tourné long-temps autour d’elle ; et combien d’hommes y ont consumé leurs veilles, mais sans succès ? C’est qu’en raison du relâchement de la matière produit par l’eau chaude, le ruban se rompait. C’est finalement en Angleterre que le problème a reçu sa solution, et comment ? Par le simple rapprochement des appareils[1]. On comprend, en effet, que, plus les appareils sont rapprochés, moins il y a de danger de rupture.

  1. Ce rapprochement des appareils est peut-être le plus grand pas que l’Angleterre ait fait faire à la filature mécanique. Non seulement il lui a permis d’employer l’eau chaude, et par là de filer les numéros élevés, mais il l’a conduite à travailler les étoupes ; car les étoupes, dont le brin est naturellement toujours court, ne pouvaient se filer avec des appareils si distans l’un de l’autre. Mais les anciens filateurs français avaient jugé nécessaire de conserver les filamens du lin dans leur longueur, tandis que, dans le système à l’eau chaude, tel qu’il se pratique aujourd’hui, si on