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REVUE. — CHRONIQUE.

Le bruit court que l’amiral Roussin, rappelé de Constantinople, est destiné à prendre le commandement de la flotte française dans la Méditerranée. Nous pensons, nous, que l’amiral Roussin ne commandera les forces françaises dans la Méditerranée que le jour où le gouvernement français aura sacrifié Méhémet-Ali à la haine que lui a vouée l’Angleterre, haine que partageait notre ambassadeur à Constantinople. Il faut espérer que le cabinet n’en est pas là.



Depuis long-temps nous n’avons eu à nous occuper de l’Opéra. Le répertoire de l’Académie royale de Musique varie si peu, pendant cette saison surtout, qu’à moins de vouloir entrer dans les détails des représentations les plus ordinaires, tenir registre des bons et des mauvais jours de Duprez, des roulades de M. Massol, des points d’orgue de Mlle Nathan ou de Mme Stoltz ; en un mot, de prétendre écrire les petites annales du théâtre, on ne sait qu’en dire. Le Lac des Fées, de M. Auber, les débuts de Mlle Nathan, cette cantatrice si cruellement déçue dans ses illusions de prima donna, un assez médiocre ballet que n’a point su faire valoir Mlle Elssler, comme jadis Mlle Taglioni, qui donnait cent représentations à la plus mesquine rapsodie, à la Révolte au Sérail, par exemple ; la Vendetta, de M. de Ruolz : voilà toute l’histoire de l’opéra depuis six mois. Nous avons parlé du Lac des Fées, ce joli chef d’œuvre de M. Auber, nous avons parlé aussi des débuts de Mlle Nathan ; si nous disons quelques mots de la Vendetta, nous serons au courant.

La partition de M. de Ruolz se distingue par de louables qualités qui font bien présumer pour l’avenir du jeune musicien. La mélodie, bien qu’elle ne soit pas toujours d’une extrême originalité, a souvent de la verve et de la franchise, et son instrumentation est traitée avec soin. Ce qui manque à l’auteur de la Vendetta, c’est la science de la mise en œuvre, l’expérience de l’art ou du métier, comme on voudra. Ainsi nous aimerions plus de variété dans les rhythmes, de concision dans les formes, coupées, pour la plupart, sur les patrons de Donizetti. M. de Ruolz donne à tous ses morceaux des dimensions égales, et se laisse aller, avec trop de complaisance, à ce penchant des jeunes musiciens, de développer outre mesure et de vouloir à toute force donner de l’importance à des parties sur lesquelles on doit passer rapidement. Il faut que M. de Ruolz se défie aussi de cette tendance qui le porte à traiter un morceau en dehors des conditions du poème pour lequel il écrit, défaut que l’auteur de la Vendetta tient de l’école italienne nouvelle, et surtout de Donizetti, dont M. de Ruolz se rapproche pour la mélodie, comme d’une autre part, dans l’instrumentation, on sent qu’il incline vers M. Halévy. M. de Ruolz écrit ses duos, ses airs et ses trios pour l’acquit de sa conscience beaucoup plus que pour la situation qu’il a sous les yeux, et qu’il s’agit de rendre. Il est vrai que M. de Ruolz pourrait, à bon droit, rejeter la faute sur ses poètes, et dire que s’il a procédé de cette façon, c’est que son sujet ne lui inspirait rien de mieux. En pareil cas, l’excuse serait fort admissible. Quoi qu’il en soit, le succès que M. de Ruolz vient d’obtenir est d’autant plus estimable, qu’il ne le doit qu’à lui seul.