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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

fin, elles se touchent presque et sont d’une finesse et d’une ténuité incomparables. Quand le lin sort de là, il peut défier l’œil le plus exercé, et cependant la masse d’étoupes produite est relativement presque nulle[1].

Il y a plus. Ces étoupes que l’on rejetait autrefois comme matières de rebut, ou dont on n’obtenait que de très gros fils, chargés de pailles et d’ordures, se filent aujourd’hui avec une netteté et une finesse remarquable, au point qu’on peut à peine les distinguer de ceux qui proviennent du lin. On file en étoupes jusqu’au no 120. La fabrication du coutil ne réclame pas au-delà du no 50, et celle des linons le no 110, c’est-à-dire qu’on peut avec les étoupes fabriquer presque toutes les toiles en usage dans le commerce. La différence, entre ces toiles et celles qui viennent du lin subsiste, en sorte qu’elles se vendent un peu moins cher ; mais cette différence est si peu sensible, qu’elle échappe à l’observation des employés de la douane. Or, pour faire comprendre quelle est l’importance de cette mise en œuvre des étoupes, il suffit de dire que la quantité produite était, avec l’ancien peignage, de 40, 45 et souvent 50 pour cent. Quelquefois même, lorsqu’on voulait obtenir un peignage plus parfait, afin de pouvoir filer plus fin, on arrivait, selon la nature des lins, à un déchet de 60 et 80 pour cent[2].

Quant à la rapidité de l’exécution et à la somme des résultats, même avantage pour la mécanique. Suivant des calculs que nous avons tout lieu de croire exacts, le travail d’une fileuse ordinaire dans nos campagnes peut produire, terme moyen, pour une semaine composée de cinq jours, en faisant déduction du temps employé à des courses au marché, une livre de fil d’une finesse moyenne. Or, dans une filature mécanique, en prenant pour exemple une des filatures de M. Marshall, de Leeds, une seule broche peut donner, pour trois cents jours

  1. Il y a d’autres machines à peigner, et nous les avons nommées plus haut ; mais elles ne nous semblent pas soutenir la comparaison avec celle-ci. On reproche pourtant à la peigneuse de MM. de Girard et Decoster deux choses : 1o qu’elle est trop chère ; 2o qu’elle donne de mauvaises étoupes. L’inconvénient de la cherté est réel ; mais il nous semble largement compensé par le service. Quant au reproche de donner de mauvaises étoupes, nous le comprenons sans l’admettre. Si les étoupes sont mauvaises, c’est qu’on n’emploie qu’une seule peigneuse, ou, pour mieux dire, un seul encadrement de peignes. De cette façon, les fines aiguilles succédant trop vite aux grosses, la transition étant trop brusque, le lin s’arrache, il se forme des nœuds, et les nœuds sont la peste des étoupes. Mais employez plusieurs encadremens, de manière que la gradation soit observée, et cet inconvénient disparaîtra. Il est vrai que cela ne convient qu’aux grands établissemens ; mais c’est une des conditions de la prospérité de cette industrie, que les établissemens se forment sur une grande échelle.
  2. Aujourd’hui même cela se renouvelle quelquefois dans certaines filatures anglaises, où l’on ne fait pas usage de la peigneuse dont nous avons parlé. On y regarde peut-être moins, parce qu’on a le moyen de travailler les étoupes ; mais ce grand déchet n’en est pas moins un mal, car, outre que les fils d’étoupes ne valent jamais absolument les autres, et ne se vendent pas aussi cher, il y a toujours un nouveau déchet fort considérable dans le travail des cardes.