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la douane, évaluer la consommation des manufactures, il n’en est pas de même pour le lin et pour le chanvre, dont le sol anglais fournit au moins une partie, et l’importation qui s’en fait ne saurait donner la mesure de ce qui en passe par les métiers. Voici pourtant quelques indications. En 1814, la ville de Dundee, en Écosse, n’importait pas chez elle plus de 3,000 tonnes (3,048,000 kil.) de lin ; en 1831, cette importation s’éleva à 15,000 tonnes, plus 3,000 de chanvre. En 1833 il y eut encore progrès : 18,777 tonnes de lin et 3,380 de chanvre (en tout 23,000,000 de kilogrammes). Les produits manufacturés que donnèrent ces matières premières, toiles, toiles à voiles, à emballage, etc., et qui sortirent la même année du port de Dundee, se montèrent à 60,000,000 de yards (54,900 kilomètres)[1].

Ce n’est pas là d’ailleurs un fait isolé et propre à une seule ville. D’après le rapport de l’inspecteur des manufactures Horner, on a constaté en Écosse, vers 1834, l’existence de cent cinquante-neuf filatures de lin à la mécanique, dont quatre-vingts à Forsar ; on en a trouvé trente-deux dans la partie nord de l’Irlande, et cinquante-deux dans les comtés du nord de l’Angleterre. Dans la suite, le progrès, loin de se ralentir, s’est encore activé. On en jugera par l’extrait suivant d’une lettre, écrite de Leeds au mois de juin 1838, par M. Laherard, de la maison Laherard et Millescamp. « Dans cette ville, dit-il, on voit quatre cents cheminées de pompes à vapeur, on compte cent cinq filatures de lin. M. Marshall en possède trois qui occupent dix-sept cents ouvriers et quatre cents peigneuses. Il en construit encore une d’une plus grande importance et avec des perfectionnemens. » Ainsi, en 1838, le nombre des filatures était de cent cinq dans la seule ville de Leeds, et on en construisait encore. Si l’on considère quelle est la puissance de chacune de ces manufactures, dont quelques-unes font mouvoir trente et quarante mille broches, et quelle énorme quantité de produits elles livrent tous les jours à la consommation, on pourra se faire une idée de la puissance actuelle de cette industrie, qui date à peine d’hier. On remarquera en même temps que, dans sa croissance, elle suit presque une progression géométrique.

En 1834, Mac-Culloch estimait le produit total des filatures anglaises à 7 millions 500 mille liv. st. (187 millions 500 mille fr.). Mais cette estimation était fort au-dessous de celle qui était faite par plusieurs autres écrivains, notamment Colghoun, et, sans admettre les données de celui-ci, on peut croire que Mac-Culloch s’est montré beaucoup trop modéré dans ses évaluations. Dans tous les cas, le chiffre est aujourd’hui bien dépassé. En 1838, M. Scrive, de Lille, estimait que depuis deux ans le nombre des filatures anglaises avait doublé. Il y a peut-être quelque exagération dans ce calcul ; mais il donne au moins une idée de la rapidité vraiment miraculeuse avec laquelle cette industrie progresse.

S’il n’est pas facile de se rendre un compte exact de la production totale de

  1. Porter, Progrès de la Grande-Bretagne, et Mac-Culloch, Dictionnaire commercial, édition de 1834.