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en plus manifeste, il a été dès-lors évident que la révolution était close, et que le moment était arrivé de réunir tous les hommes gouvernementaux, quelle que fût leur origine, dans une même et nouvelle majorité.

Le 12 mai essaya à son tour de résoudre ce grand problème politique. Il réunissait plusieurs des conditions nécessaires. M. Duchâtel donnant la main à M. Dufaure d’un côté, à M. Cunin-Gridaine de l’autre, la chaîne paraissait établie et le problème résolu. Il pouvait l’être quant aux choses ; il ne l’était pas quant aux personnes. Il laissait en dehors du pouvoir toutes les grandes notabilités parlementaires ; on avait trop oublié que cette résignation pieuse au néant des choses de ce monde n’appartient guère aux hommes politiques, et que, dans tous les cas, ce n’est pas aux plus éminens d’en donner l’exemple. Aussi n’avons-nous pas cessé d’exhorter le cabinet du 12 mai à se renforcer, à se compléter. Il s’est laissé choir ; il a disparu de la scène politique comme un ministère intérimaire. Et cependant il renfermait dans son sein des hommes que tout cabinet serait heureux de pouvoir compter au nombre de ses membres.

Le pouvoir est échu au cabinet du 1er  mars. Qu’y a-t-il de changé dans le fond des choses ? Rien. C’est toujours la même pensée qui attend sa réalisation, la même question qu’il faut résoudre. Ou il se formera une majorité, une majorité nouvelle, composée de tous les hommes sensés, modérés, quel qu’ait été jusqu’ici leur drapeau, ou le gouvernement sera impossible pour M. Thiers comme pour tous ses successeurs. Qu’on dissolve la chambre, le moindre inconvénient sera de retrouver exactement la même situation avec une chambre nouvelle. Les électeurs voudront sans doute le rapprochement des opinions, mais ils le voudront digne, honorable, et en conséquence accompli par les mêmes hommes qui siégent aujourd’hui, par les hommes qu’ils connaissent, qu’ils aiment, qu’ils honorent. Si des réélections pouvaient être compromises, ce ne pourrait être que celles des hommes qui auraient résisté à tout rapprochement, rendu tout gouvernement impossible, et frustré le pays de tout ce qu’il attend d’une administration intelligente et active.

Il ne s’agit donc pas pour le ministère d’aller à droite, et moins encore d’aller à gauche. Si on doute de la sincérité et des opinions du cabinet, qu’on lui reconnaisse au moins quelque intelligence de ses propres intérêts. Le jour où le cabinet se jetterait d’un côté ou de l’autre, le jour où il voudrait recommencer pour son compte le 15 avril, ou commencer sous le nom de M. Thiers le ministère de la gauche, ce jour-là le cabinet aurait cessé d’exister, et sa chute serait honteuse, car sa tentative serait folle et sans excuse.

Dans le cours régulier des choses, la majorité enfante le cabinet : aujourd’hui, c’est le ministère qui doit enfanter la majorité, et il a noblement commencé son œuvre dans la discussion des fonds secrets. Il n’y a dans cette entreprise ni fatuité ni témérité. Le ministère ne prétend pas créer un fait, faire naître des besoins politiques et des opinions qui n’existeraient pas, ôter à la chambre sa vie réelle pour lui donner une vie artificielle. Ce serait un crime si la chose était possible, une sottise si elle ne l’était pas. Ce que le