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REVUE. — CHRONIQUE.

Dans cette situation, on y pensera à deux fois avant de le renverser. Les passions ardentes auraient besoin, pour réussir, d’un appoint que les hommes sensés ne mettront pas dans l’urne, au préjudice d’un ministère qui n’aura pas mérité de reproches sérieux, et qui, dans toutes les occasions, aura su se défendre.

La ligue des hommes passionnés parviendrait-elle cependant à le renverser ? Tant pis pour le pays, qui serait ainsi jeté dans je ne sais quelle inextricable confusion. Quant aux membres du cabinet, ils grandiraient au milieu des embarras cruels d’une situation qu’ils voulaient prévenir ; ils seraient, aux yeux de la France, les vrais représentans de la prudence gouvernementale, de la sagesse politique. Entraînés, au contraire, par l’une ou l’autre des opinions exagérées, ils ne seraient plus que les instrumens d’un parti, ils n’auraient pas même l’honneur d’en être les chefs.

Nous avons l’intime conviction que le cabinet du 1er  mars ne conserve aucun doute sur la nécessité de maintenir la position élevée qu’il a choisie. Nous lui croyons la volonté, la force, le courage de la garder envers et contre tous, et nous sommes convaincus qu’aujourd’hui même il donnera au pays de nouvelles preuves de cette ferme résolution dans la discussion qu’il va soutenir à la chambre des pairs.

Dans son rapport, M. le duc de Broglie a dessiné, avec cette parole ferme et lumineuse et avec cette loyauté que tout le monde connaît, le terrain intermédiaire où le ministère s’est placé. La preuve, c’est que chaque parti a essayé de retrouver dans ce rapport ses propres idées ; nul n’y a trouvé tout ce qu’il désirait.

Les principes fondamentaux de notre gouvernement y sont rappelés dans leur juste mesure, dans leur sincère signification. La chambre des pairs voit aujourd’hui devant elle un cabinet qui, au nom de ces principes et s’inclinant également devant le droit de chacun des grands pouvoirs politiques de l’état, vient lui demander un vote de confiance, et par cela même son libre concours : c’est par une libre manifestation de sa pensée politique, c’est en se reconnaissant le droit de faire le contraire, le droit de renverser le ministère, que la chambre des pairs lui dira aujourd’hui : Restez ; le choix de la couronne est conforme aux intérêts du pays ; en prenant de ces intérêts un soin intelligent, actif, vous êtes assuré de notre appui.

Qu’on ne vienne donc pas dire à la pairie que le ministère ne tient aucun compte d’elle, qu’il professe des doctrines incompatibles avec la pondération des pouvoirs, qu’il ne reconnaît d’autre puissance que celle de la chambre élective et celle du corps électoral, en cas d’appel au pays. Le ministère, son exposé des motifs à la main, peut répondre : « Vous l’avez entendu ; veuillez le relire. Votre adhésion, avons-nous dit, nous est nécessaire pour exercer l’autorité que le roi nous a confiée. » L’appel au pays ! il court dans le monde de singulières idées à cet égard. Comme le corps électoral nomme la chambre des députés, on se persuade que tous ceux qui parlent d’un appel au pays