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CABRERA.

d’heure, il était arrivé au pied du rempart, qu’il escalada comme le reste. Les sentinelles s’étaient blotties dans leurs guérites, contre la rigueur de la saison ; Pedro rampe jusqu’à la première guérite, décharge son mousquet à bout portant dans la poitrine du factionnaire, et s’empare de son fusil. À cette détonation, le poste accourt ; mais l’audacieux Pedro ne s’effraie pas : il fait feu sur le premier qui se présente, et l’étend raide mort en criant de toutes ses forces : Vive Charles V ! Les autres, croyant le château au pouvoir des carlistes, prennent la fuite en jetant leurs armes ; l’alarme se répand d’étage en étage dans le château, et ce cri retentit de toutes parts : Les carlistes ! les carlistes !

Cependant Pedro ne perdait pas de temps ; il fermait avec soin toutes les issues de la terrasse dont il s’était si heureusement emparé. Après s’être barricadé du mieux qu’il avait pu, il aidait le lieutenant à s’élever avec des cordes jusque sur le rempart, puis le sergent, puis la plupart des hommes qui les accompagnaient ; les autres étaient partis à la hâte pour aller porter à Cabrera la nouvelle de la miraculeuse ascension de leur chef. La petite troupe passa la nuit sur la terrasse, s’étonnant de n’être pas attaquée, et attendant l’arrivée de forces supérieures ; elle ne savait pas jusqu’à quel point sa victoire était complète. Le gouverneur de la place, gagné par la panique qui avait saisi la garnison, avait fait ouvrir les portes de la ville à deux heures du matin, et avait évacué Morella avec tout son monde, laissant le château désert.

Au point du jour, les habitans de Morella, qui étaient presque tous carlistes, et qui savaient le départ de la garnison, se répandirent dans les rues, en criant : Viva Carlos quinto ! viva la religion ! viva la Virgen ! viva Cabrera ! Mais le prudent Pedro se gardait bien de descendre de sa forteresse, et les habitans ne savaient à quoi attribuer le silence extraordinaire que gardaient les maîtres du château, quand arriva aux portes de la ville un groupe de cavaliers au galop : c’était Cabrera qui était accouru avec son état-major dès la première nouvelle du succès. Tout fut bientôt expliqué ; les prisonniers de la citadelle furent délivrés et portés en triomphe, et le drapeau de Charles V flotta victorieusement sur Morella. Pedro devint capitaine et chevalier de Saint-Ferdinand ; mais dans le retentissement qu’eut au loin la prise de la place, sa gloire disparut dans celle de son général.

Il est vrai que, si Cabrera avait pris par lui-même peu de part à cette prise, il en eut davantage à l’organisation qui suivit. Dès qu’il fut en possession de ces murs si désirés, il entreprit d’y fonder le siége