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pas entendre parler. Bien des conditions sont requises pour qu’il ne soit pas signé et mis à exécution l’un de ces jours, à la barbe des tiers, sans que ceux-ci s’agrandissent d’un pouce, dans le cas où, se renfermant dans la politique négative ou exclusive, ils ne proclameraient pas la politique de compensation et d’expansion, et ne la feraient pas prévaloir à leur profit comme à celui des deux géans de la terre ferme et de la mer. Premièrement, il faut que l’Autriche et la France se tiennent bien serrées l’une contre l’autre, nonobstant l’Italie, qui fait plus que les séparer, car elle les divise et doit continuer à les diviser tant qu’elles s’en tiendront à la politique d’exclusion ; secondement, que la France soit bien unie, bien ordonnée et bien calme chez elle ; troisièmement, que la haute prudence de l’Autriche s’accommode d’une attitude guerrière et de la possibilité d’une conflagration européenne ; quatrièmement, que l’islamisme soit de force à jouer le rôle d’intermédiaire obligé entre l’Asie et l’Europe, en dépit de la présence des Anglais dans l’Inde, des Russes tout autour de la mer Noire, des uns et des autres sur le plateau central de l’Asie et autour de la Perse, et qu’il ne meure pas de sa belle mort, en tant qu’empire, entre les bras de ceux qui prétendent l’opposer à deux colosses semblables à la Russie et à l’Angleterre. Le programme de ces conditions, toutes pourtant sine qua non, n’est pas aisé à remplir. Il y a donc de fortes chances pour que la proposition Brunow, après avoir été repoussée une fois, deux fois, dix fois, soit reproduite une onzième et acceptée, puis réalisée, et pour que nous assistions ainsi à une seconde représentation d’une Pologne mise en pièces, au profit de la Russie et de l’Angleterre.

Or, ce qui peut se faire en Europe aux dépens de la Turquie peut s’effectuer aussi bien en Asie aux dépens de la Chine. Le céleste empire, malgré son innombrable population, paraît médiocrement capable de tenir tête à la tactique européenne, et il n’a pas près de lui des tiers en mesure de l’aider, comme en Europe l’Autriche et la France pourraient servir de puissans auxiliaires au sultan et à Méhémet-Ali. Les Tartares connaissent le chemin de Pékin : ils peuvent y revenir avec le drapeau russe, tout comme ils y sont allés avec l’étendard mongol ou mandchou ; il n’y aurait de changé que le nom de la horde et son degré de culture, ainsi que la perfection de ses moyens militaires. Les flottes anglaises prendraient Canton entre un lever et un coucher du soleil. Considérée comme objet d’une conquête ou d’une tutelle intéressée, la moitié de la Chine vaut infiniment mieux que tous les domaines des Osmanlis ensemble. Conçoit-on l’incomparable