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WALTER RALEIGH.

fût pas suffisant selon la loi anglaise, il conserva jusqu’au bout sa dignité dénuée d’orgueil et cette simplicité héroïque, admirée de ses nombreux ennemis. Jacques Ier, aussi bizarre dans ses bonnes actions que dans ses mauvaises, fit monter sur l’échafaud tous les conspirateurs, excepté Raleigh, qui contemplait ce spectacle d’une fenêtre et qui riait, dit l’ambassadeur de Beaumont. Le shériff, au moment où Cobham, Grey et Markham allaient être décapités par le bourreau, annonça au peuple et aux condamnés que le roi faisait grace aux coupables. Raleigh continuait à rire ; ce qui prouve, dit Beaumont, qu’il était instruit de la singulière comédie que Jacques Ier avait inventée. Quant à lui, pendant treize années entières, il fut détenu dans l’intérieur de la Tour de Londres, conservant la liberté de ses actions, se livrant à son goût pour les expériences de chimie et de physique, recevant ses amis, communiquant ses observations aux gens de lettres et aux savans de l’époque, et s’occupant à rendre, comme il le dit avec tant d’énergie, sa pensée visible.

C’était chose curieuse de voir le brillant gentilhomme, le courtisan, le soldat, revêtir le tablier du pharmacien, transformer en laboratoire un poulailler du jardin de la Tour, et « passer, comme le dit sir William Wade, gouverneur de cette prison (dans une lettre à Cecil), toute la journée au milieu des alambics. » Mais, s’il n’avait été que distillateur et inventeur d’un nouveau cordial, cet amusement aurait médiocrement protégé sa gloire. Il occupa mieux son temps. Que la retraite et la méditation aient réformé, ainsi que le prétend l’évêque Hall, les défauts originels de sa nature, nous ne le pensons pas, et le reste de sa vie prouvera bientôt que l’expérience, en le frappant de coups redoutables, ne l’avait point corrigé. Si son caractère resta le même, sa pensée, agrandie par la méditation et la retraite, refoulée et concentrée sur elle-même, loin des intrigues du palais et du bruit de la mêlée, sentit pour la première fois son empire et sa puissance. Combien de souvenirs impérieux et de réflexions fécondes durent se presser dans le cerveau de ce captif, qui pouvait dire comme notre poète :

…… Dieu, le grand Dieu, me jetant sur la mer,
Plusieurs fois m’abysma, sans du tout m’abysmer.
J’ai veu des creux enfers la caverne profonde ;
J’ai esté balancé des orages du monde.
Aux tourbillons venteux des guerres et des cours
Insolent, j’ai usé ma jeunesse et mes jours.
Je me suis pleu au fer........