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THÉÂTRE ESPAGNOL.

et pourtant, subjugué par une puissance surnaturelle, il se prosterne, il gémit de ne pouvoir s’associer au culte que l’univers rend à la mère de Dieu, il célèbre comme involontairement ses perfections infinies, sa puissance illimitée, les récompenses qu’elle accorde à ceux qui lui ont voué une dévotion particulière. Ses transports, le tremblement qui l’agite, le feu qui sort de ses yeux, les paroles entrecoupées qui s’échappent de sa bouche, étonnent et épouvantent un moine présent à cette scène, mais pour qui l’apparition céleste est restée non avenue. Le miracle est enfin accompli, la Vierge s’éloigne, et Octavie ressuscite.

Irrité, mais non persuadé par ce miracle, Ludovic persiste dans son impiété. Vainement Lucifer tente un dernier effort pour le convertir, vainement il lui annonce la mort qui le menace, la damnation qui doit la suivre et qu’une aumône faite à saint François peut détourner. Ludovic, averti qu’il n’a plus qu’un moment pour se repentir, brave encore la puissance divine. Au signal enfin donné par saint Michel, Lucifer s’empare de sa proie, et Ludovic disparaît au milieu des flammes. Le démon croit avoir accompli toute sa mission, déjà il vient rejeter le froc qui pèse tant à son orgueil ; mais saint Michel lui déclare qu’il lui reste encore à faire restituer aux pauvres tout ce que leur a dérobé le scélérat qui vient de périr. Pour exécuter ce nouvel ordre, Lucifer appelle Astaroth, un de ses lieutenans. Ce dernier prend la figure de Ludovic, fait convoquer tous ceux qui ont à se plaindre de ses spoliations et leur partage ses richesses. Lorsque cette œuvre de réparation est terminée, Lucifer, dépouillant enfin le costume monacal, raconte en peu de mots, au peuple accouru de toutes parts sur le bruit de la prétendue conversion de Ludovic, les étranges évènemens qui viennent de se passer. « Demain, dit-il, le père gardien, qui a tout vu, à qui Dieu a tout révélé, vous donnera, dans un sermon, des explications plus complètes. Et maintenant, François, la trêve est expirée entre tes enfans et moi. Je redeviens ton plus grand ennemi. Veille sur eux. Puisqu’il ne m’est pas permis de les priver de leur subsistance, c’est en attaquant leur vertu que je satisferai ma haine. »

Ainsi se termine le Diable prédicateur. Nous ne donnerions pas de cette comédie une idée complète si nous n’ajoutions que l’auteur, fidèle à la mode de son temps, a mis au nombre des personnages un gracioso qui occupe même dans la pièce une place très considérable. C’est un frère lai, poltron, menteur et surtout gourmand, que Lucifer s’amuse à tourmenter dans ses momens de loisir. La grossière et joviale sensualité du frère Antolin, son ignorance, l’impossibilité où il est de s’élever à aucun sentiment exalté, à aucune pensée de dévouement et de sacrifice, forment avec la nature du sujet un contraste qui n’est pas dépourvu d’art, et qui d’ailleurs produit des effets d’un très bon comique.

En faisant la part des idées religieuses du temps, reproduites par le poète avec une force de vérité qui nous transporte en quelque sorte au milieu de son siècle, il est impossible de ne pas reconnaître dans l’ensemble de cette