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SAVANTES.

l’invasion des Français en se jetant audacieusement au milieu de leurs corps épars en Franconie. Cependant la Prusse, n’ayant pas saisi, en 1805, l’occasion favorable de faire la guerre à la France, la prudence lui commandait de combiner son plan d’opérations avec les Russes, de manière à éviter la faute qu’avait faite l’Autriche dans la dernière guerre, et à ne point se trouver seule aux prises avec les armées de Napoléon. Mais le roi, dominé par l’opinion, n’avait pas la force d’en modérer l’impétueuse ardeur : il était entraîné. La rupture des négociations entre l’Angleterre et la France avait déterminé l’empereur Alexandre à refuser sa ratification au traité du 20 juillet. Dans cet état de choses, il était impossible que Napoléon ne posât pas à Frédéric-Guillaume cette double alternative : l’alliance complète, sans réserve, avec le libre passage de son territoire pour aller combattre les Russes, ou la guerre.

La Prusse lui épargna l’embarras de lui tenir un pareil langage. Elle prit l’initiative des hostilités (9 septembre 1806) et se jeta dans cette lutte inégale avec l’imprévoyance de la présomption. Au premier choc, elle fut vaincue et renversée. Sa belle et valeureuse armée vint se briser à Iéna contre nos redoutables phalanges, et une fois dissoute, elle ne put se rallier nulle part. Tout son territoire devint la proie du vainqueur. Napoléon, maître de toute la monarchie prussienne, pouvait encore se montrer généreux et clément. La Prusse était à terre, vaincue, anéantie ; il pouvait lui tendre la main, la relever, lui rendre tous ses états, y ajouter le Hanovre et ne lui demander, pour prix de tant de bienfaits, que son alliance. Un procédé si grand, si nouveau, eût touché l’ame de Frédéric-Guillaume. Il est certain que ce parti s’est offert à l’empereur comme un des systèmes qu’il pouvait adopter après la journée d’Iéna ; mais le caractère timide et compassé du roi ne lui inspirait plus de confiance : il désespérait de lui. Il était convaincu que sa reconnaissance n’irait jamais jusqu’à lui assurer la coopération de ses armées. Quant à la cour et à l’armée, il s’en défiait plus encore ; il pensait que jamais elles ne nous pardonneraient l’affront d’Iéna et qu’elles subiraient notre alliance, non comme un bienfait, mais comme un joug. L’idée de relever la monarchie prussienne fut donc écartée, et l’empereur marcha sur le Niémen avec la pensée de relever la Pologne ou de conquérir l’alliance de la Russie. Le rétablissement de la Pologne était une œuvre immense qui ne pouvait s’accomplir dans une seule campagne. Les combats de Pulstuck et d’Eylau nous causèrent des pertes énormes. L’Autriche n’attendait qu’un revers de nos armées