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sorte les missionnaires du nouveau culte. Le plus puissant moyen dont se servait le gouvernement pour opérer la fusion des idées religieuses était de favoriser les mariages entre les fonctionnaires protestans et les femmes catholiques. De là ses doctrines sur les mariages mixtes, doctrines qui consacrent le principe de la puissance paternelle en matière de religion, tandis que la cour de Rome exige de l’époux catholique l’engagement d’élever ses enfans dans sa religion. De là ses querelles avec l’archevêque de Cologne et les rigueurs exercées contre ce prélat, qui s’était servi des doctrines apostoliques pour arrêter l’envahissement du protestantisme au sein de la population dont il était le pasteur. Le jugement si droit et si calme que Frédéric-Guillaume portait dans les affaires d’état l’abandonnait dans les questions religieuses. Ses arrêtés contre les juifs, marqués d’un cachet de bigotisme étroit, semblent inspirés par l’esprit d’un autre âge. Ses fautes, à cet égard, pouvaient avoir une portée incalculable. Il devait savoir, lui, homme de foi ardente, combien est puissant sur les ames religieuses l’empire des croyances. Il poussait, à son insu, dans les bras de la France, les catholiques du Rhin ; il déterminait ces nombreuses émigrations de luthériens qui, dans les dernières années, aimèrent mieux s’exiler volontairement que de transiger avec le culte de leurs pères. Par la rigueur de ses mesures et le caractère de ses innovations, il avait fini par devenir l’adversaire personnel du saint-siége. Le pape en était troublé comme d’une épreuve nouvelle à laquelle était condamné le catholicisme, et, à l’amertume avec laquelle il s’en exprimait, on eût dit qu’il venait de surgir en Allemagne un nouveau Luther. Il disait en parlant du roi de Prusse : C’est une lutte ouverte entre lui et moi.

Nous avons essayé d’indiquer en traits rapides le caractère politique et le règne de Frédéric-Guillaume ; il nous reste peu de chose à ajouter pour compléter cette esquisse. Ennemi du faste et de l’étiquette, ce prince portait dans sa vie privée cette simplicité pleine de noblesse et de bonhomie qui est habituelle aux princes allemands. Il avait un goût très vif pour les spectacles, et sa plus agréable distraction était de faire jouer des pièces sur le théâtre de la cour par les personnes de son intimité. S’il fallait en croire les réflexions malignes de la cour et de la ville, l’Opéra et les Variétés de Paris auraient été le principal attrait du voyage qu’il fit dans cette capitale en 1825. Ce qu’il préférait à tout, c’étaient les charmes de l’intimité. Afin de remplir le vide qu’avait produit dans sa vie domestique la mort de la reine Louise, il épousa le 9 novembre 1824, par un mariage morganatique, la comtesse Auguste de Harrach, qu’il éleva à la dignité de princesse