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SAVANTES.

voyons aujourd’hui, elle cherchera dans la guerre les moyens de consolider sa puissance. Elle ne se reposera que lorsqu’elle aura obtenu toute la consistance d’un état de premier ordre. La France aussi a une organisation territoriale incomplète, et, comme la Prusse, elle ne sera satisfaite et heureuse que lorsqu’elle aura atteint le but de sa légitime ambition, c’est-à-dire ses limites naturelles.

La France et la Prusse unies ensemble seraient assez fortes soit pour garantir la paix du continent, tant qu’elles croiraient de leurs intérêts de la maintenir, soit pour redresser en commun, par les opérations de la politique ou de la guerre, les grandes erreurs du congrès de Vienne. Si Frédéric-Guillaume IV méconnaissait les avantages d’une telle union, s’il était vrai qu’infidèle aux traditions de sagesse et de modération de son père, il s’associât aux combinaisons récemment conçues par la Russie et l’Angleterre, non pour pacifier l’Orient, mais pour y dominer sans partage, nous aurions peine à nous expliquer une si étrange politique, car enfin la Prusse a le même intérêt que la France à ce que la Russie soit contenue sur le Danube ; elle sait que, l’harmonie une fois détruite entre les grandes puissances de l’Occident, Constantinople cesse d’être garantie, et que la paix générale est de nouveau compromise. Le prince qui la gouverne ne peut, sans s’affaiblir dans l’opinion de son peuple, être dupe des protestations de l’empereur Nicolas et de lord Palmerston en faveur de l’intégrité de l’empire ottoman. Il est impossible qu’il ne rende pas justice au gouvernement de la France, qui défend seul aujourd’hui, avec un désintéressement dont on ne lui tient pas assez compte, l’équilibre européen, qui veut, lui, loyalement, sans arrière-pensée, la conservation et l’indépendance de la Turquie, et qui, dans la puissance fondée par Méhémet-Ali, voit le plus solide appui de l’islamisme et de la Porte contre l’ambition de la Russie. C’était le jugement qu’en portait Frédéric-Guillaume III. Aussi nous plaisons-nous à croire que la combinaison à laquelle M. de Brunow a attaché son nom avortera encore une fois ; ni le roi de Prusse ni M. de Metternich ne voudront entrer plus avant dans une voie fatale, qui pourrait replonger l’Europe dans les calamités de la guerre. Si au contraire, frappée d’aveuglement, la Prusse se faisait l’instrument passif des volontés du cabinet de Saint-Pétersbourg, il ne nous resterait plus qu’à la plaindre, car, dans une nouvelle guerre générale, c’est elle que la France rencontrerait la première sur son passage.


Armand Lefebvre.