Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/452

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
448
REVUE DES DEUX MONDES.

grace de m’écrire souvent et de me confirmer dans l’horreur que j’ai pour le siècle. Mandez-moi quels livres vous me conseillez de lire. »

Antérieurement à cette époque, on a des lettres d’elle à ces mêmes religieuses ; chaque malheur, je l’ai dit, y ramenait involontairement son regard ; elle leur avait écrit lorsqu’elle avait perdu une petite fille, et à la mort aussi de Mme la Princesse sa mère. Celle-ci mourut pendant que la duchesse était à Stenay[1]. C’est de là qu’en réponse aux condoléances venues du monastère (octobre 1650), partit une touchante lettre adressée à la mère prieure pour solliciter d’elle des particularités sur les circonstances de cette mort : « C’est en m’affligeant que je me dois soulager, écrivait Mme de Longueville. Ce récit fera ce triste effet, et c’est pourquoi je vous le demande ; car, enfin, vous voyez que ce ne doit pas être le repos qui succède à une douleur comme la mienne, mais un tourment secret et éternel. Aussi je me prépare à le porter en la vue de Dieu et de mes crimes qui ont appesanti sa main sur moi. Il aura peut-être pour agréable l’humiliation de mon cœur et l’enchaînement de mes misères profondes… Adieu, ma chère mère, mes larmes m’aveuglent ; et s’il étoit de la volonté de Dieu qu’elles causassent la fin de ma vie, elles me paroîtroient plutôt les instrumens de mon bien que les effets de mon mal. » M. de Grasse ne cessait aussi de lui écrire, et il l’avait fait avec une sorte d’éloquence, sur cette mort. Ainsi s’étaient conservés, même aux saisons du plus prodigue délire, des trésors secrets de cœur chez Mme de Longueville.

Ses larmes, à temps renouvelées et abondantes, empêchaient de tarir en elle les sources cachées.

Une vie vraiment nouvelle pourtant va commencer. Elle a trente-quatre ans. Elle quitte Bordeaux par ordre de la cour, s’avance jusqu’à Montreuil-Bellay, domaine de son mari, en Anjou, et de là jusqu’à Moulins. En cette ville, elle descend aux Filles de Sainte-Marie, et y visite le tombeau du duc de Montmorency, son oncle,

  1. Un éloquent détail à ce sujet nous revient par les Mémoires de M. de Châteaubriand, en ce passage dont sa bienveillance nous a permis de nous décorer : « La princesse de Condé, près d’expirer, dit à Mme de Brienne : « Ma chère amie, mandez à cette pauvre misérable qui est à Stenay l’état où vous me voyez, et qu’elle apprenne à mourir. » Belles paroles ! mais la princesse oubliait, continue M. de Châteaubriand, qu’elle-même avait été aimée d’Henri IV, qu’emmenée à Bruxelles par son mari, elle avait voulu rejoindre le Béarnais, s’échapper la nuit par une fenêtre et faire ensuite trente ou quarante lieues à cheval : elle était alors une pauvre misérable de dix-sept ans. »