Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/497

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
493
REVUE. — CHRONIQUE.

devenir, si on se séparait sur une question immense, complexe, qui peut embrasser le présent et l’avenir, l’Orient et l’Occident ? À plus forte raison, que deviendrait-elle, si les trois conditions manquaient à la fois ?

Pressé par les radicaux, qui s’indignent avec raison de voir l’Angleterre mise à la suite de la Russie, et par les tories, qui tous, si on excepte quelques vieux fanatiques de la sainte alliance, se récrient sur l’étrange prétention de vouloir disposer des affaires de l’Orient par surprise, sans le concours de la France, en compromettant avec tant de légèreté une alliance à la fois si honorable et si utile pour les deux pays ; étonné d’ailleurs du langage et de l’attitude de la France, le noble lord a été contraint de jouer dans le parlement un rôle que nous ne voulons pas qualifier. Il n’a pas osé avouer le traité, il n’a pas osé avouer même un préparatif de mesures coërcitives ; il s’est renfermé dans des négations hautaines que le noble lord peut prendre pour de la fierté, qui ne nous paraissent à nous qu’embarras et gaucherie, embarras et gaucherie dont nous lui savons gré du reste, car ils prouvent qu’il commence à se douter qu’il a fait fausse route, qu’il s’est jeté dans une carrière que tout ministre habile et loyal de l’Angleterre doit s’empresser de quitter au plus vite. Le noble lord s’est laissé mener loin par la fougue de son esprit et par ses préventions personnelles. Homo sum. Mais comme nul ne conteste d’ailleurs sa loyauté, son habileté, nous voulons encore croire qu’il trouvera dans son ame assez d’élévation et assez de force pour revenir sur ses pas.

Voulût-on pour un moment oublier le juste ressentiment de la France, et juger la mesure en simple spectateur, comment ne pas reconnaître que le noble lord s’est laissé entraîner dans une faute dont son pays a le droit de lui demander compte ?

En effet, que veut-il ? Contraindre Méhémet-Ali à évacuer la Syrie ? à se contenter de la vice-royauté d’Égypte ? Prenons cela à la lettre ; croyons (notre bonté est grande) qu’après avoir arraché au vainqueur de Nézib la Syrie, on lui laisserait la possession paisible de l’Égypte.

Toujours est-il qu’il faut se placer dans deux hypothèses bien diverses. Ou Méhémet-Ali peut et veut opposer une vigoureuse résistance, ou Méhémet-Ali n’a ni la volonté ni les moyens de résister.

Qu’il le veuille, s’il le peut, il serait ridicule d’en douter. Après une vie forte et glorieuse de soixante-dix ans, lorsqu’on touche au but, lorsqu’on sait qu’on a pour soi les sentimens d’une partie considérable de l’Europe, on ne renonce pas lâchement à tous ses projets, à l’avenir de sa famille, à la gloire de son nom.

Méhémet-Ali opposera une résistance habile et désespérée. En a-t-il les moyens ? Pourquoi en douter ? Le vainqueur de Nézib a-t-il perdu tout à coup son armée, sa flotte, son trésor, son habileté, son expérience, son courage ? Il n’en a pas abusé, il est vrai ; il n’a pas franchi le Taurus, il s’est abstenu de tout ce qui pouvait troubler la paix du monde, il a compté sur la prudence de la Porte, sur l’équité de l’Europe ; on veut lui prouver aujourd’hui qu’il s’est trompé, qu’il a eu tort de ne pas user de la victoire. Soit. Nous ver-