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REVUE. — CHRONIQUE.

Encore une fois, la situation étant donnée, tout cela était vrai, tout cela était habile. Il n’était pas moins évident que ce n’était là qu’une position d’expectative, une tenue conservatoire. D’un côté, l’Europe n’avait pas accepté le traité d’Unkiar-Skelessi ; de l’autre, l’alliance anglo-française, en présence de laquelle la Prusse et l’Autriche n’auraient pas épousé la cause de la Russie, était pour la Russie une gêne, un frein, disons-le, le seul frein qu’elle puisse subir en Europe.

C’est dans cet état de choses que lord Palmerston, dans son emportement et sa haine contre le pacha, et peut-être aussi dans son dépit contre la politique ferme et mesurée de notre gouvernement, a fait à Pétersbourg frapper à toutes les portes et mis en avant des projets contraires au statu quo de l’Orient et aux idées manifestées par la France.

La Russie est trop habile, elle connaissait trop bien le noble lord pour laisser échapper l’admirable occasion qui lui était bénévolement offerte. Que lui importe, encore une fois, la Syrie, son intégrité ou son démembrement ? Ce qui lui importait, c’était de rompre l’alliance anglo-française et d’amener l’une des grandes puissances maritimes à reconnaître implicitement la domination russe dans les Dardanelles. Qui aurait jamais dit à priori que cela s’accomplirait à Londres, par des mains anglaises ? Il en est pourtant ainsi, grace sans doute à l’habileté calme, réfléchie de la diplomatie russe, mais plus encore grace aux passions du noble lord. La Russie comprit que le fait seul de cette étrange négociation révélait l’affaiblissement de l’alliance anglo-française, qu’il y avait là un interstice où l’on pouvait adroitement se glisser pour élargir la brèche jusqu’à ce que tout lien fût rompu. Peu importait le moyen, pourvu qu’on pût entrer et se mettre entre deux.

Cependant, pour obtenir beaucoup, il fallait offrir peu, exciter l’impatience, aiguillonner les passions du noble lord par une tenue prude et circonspecte. La Russie, comme récompense des premières avances de lord Palmerston, offrait de permettre, le cas de la protection échéant, l’entrée de trois ou quatre vaisseaux anglais dans les Dardanelles, dont le traité d’Unkiar-Skelessi lui avait, disait-elle, confié les clés. Si l’Angleterre eût accepté, elle aurait par cela même, accepté et ratifié ce fameux traité.

Il ne fut pas aisé d’empêcher le noble lord de commettre cette énorme faute et de prostituer ainsi la signature de l’Angleterre.

Cependant rien n’était perdu, ni pour l’entêtement de lord Palmerston, ni pour l’habileté de la Russie. Nous l’avons dit en commençant, un nouveau traité a été élaboré dans l’ombre ; il est signé aujourd’hui, bien qu’on n’ose pas encore l’avouer.

Qu’a obtenu le noble lord ? Nous l’ignorons. Peut-être l’entrée de cinq ou six vaisseaux au lieu de quatre. Peu importe.

Toujours est-il que, par ce traité comme par l’autre, il reconnaît implicitement la domination russe en Orient ; que, par ce traité comme par l’autre, il n’a rien obtenu d’important, de capital, rien qui désarme la Russie, rien