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ESPARTERO.

plus que jamais Espartero. Au retour de la belle saison, le généralissime avait repris enfin ses opérations, et les petits châteaux-forts de Cabrera tombaient un à un devant lui. Les journaux révolutionnaires l’accablèrent à ce sujet d’adulations incroyables ; tous les vieux héros de l’Espagne, tous les grands hommes de guerre du monde, n’étaient rien auprès du vainqueur de Mirambel et de Castellote. Il est impossible de savoir où s’arrêtaient, au milieu de tant de triomphes, les rêves orgueilleux de son état-major, provoqués et encouragés par les sociétés secrètes. C’était presque trop peu de la puissance suprême pour celui qui effaçait par ses victoires tout l’éclat des victoires impériales, et le dernier de ses lieutenans pouvait prétendre aux plus hautes destinées !

Ce fut au milieu de ces luttes politiques, compliquées par l’enivrement où le succès jetait l’armée, que la reine-régente signifia brusquement au président du conseil la résolution qu’elle avait formée d’aller prendre les eaux de Barcelone avec sa fille. Le ministère en fut stupéfait. On tenta les plus grands efforts pour dissuader la reine de ce projet ; elle fut inébranlable.

On a donné beaucoup d’explications de ce voyage royal ; voici quelle est la plus vraisemblable. D’abord l’état de la jeune reine, qui préoccupe beaucoup sa mère, exigeait réellement l’emploi des bains sulfureux ; mais ce n’était pas là le seul motif du voyage, car il y a des bains sulfureux ailleurs qu’à Barcelone. Le véritable but de la reine Christine, c’était de voir Espartero. Le généralissime lui était personnellement fort peu connu ; elle ne l’avait vu qu’une fois, et dans un temps où il ne se doutait pas encore de son avenir. Comme elle n’avait rien épargné pour se l’attacher, elle fondait sur lui beaucoup d’espérances. Depuis long-temps elle entretenait avec lui une correspondance privée, qui avait souvent inquiété ses ministres. En même temps qu’elle le comblait de titres et d’honneurs, elle avait attaché à sa personne la duchesse de la Victoire, et lui avait donné auprès d’elle le premier rang. De son côté, Espartero ne laissait pas échapper une seule occasion de protester du dévouement le plus exalté pour sa souveraine. « Je suis Manchego, disait-il sans cesse, du pays de don Quichotte, et aussi galant chevalier que le héros de Cervantes ; la dame de mes pensées est une reine, et, pour la servir, il n’est rien que je ne sois prêt à faire avec bonheur. »

Ce langage chevaleresque n’avait pas changé au plus fort des démêlés d’Espartero avec le ministère. Or c’est une tendance naturelle aux princes constitutionnels que de se distinguer de leurs mi-