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laquelle sert de préface au chef-d’œuvre, que l’Adonis ne pouvait être autrement conçu, autrement écrit, selon les règles d’Aristote. Il fallut que le marquis de Manso, qui se trouvait alors à Paris, arrachât le Marino à son auberge de la rue de la Huchette, et le logeât chez lui (splendidamente l’allogiò, regiamente l’accompagnò, e magnificamente cavalli e altri nobili arredi donar li volle). Le Marino riait dans sa barbe de cet enthousiasme, et ne ménageait guère la nation qui faisait sa fortune. Il avait raison. Non-seulement cet engouement prêtait à la raillerie, mais les mœurs et les costumes de cette confuse époque, dont Callot est l’interprète le plus lumineux, étaient pour lui un sujet d’ironie continuelle. Il écrivait à son ami, don Lorenzo Scoto, Espagnol, une lettre digne de Quevedo[1], imprimée à la fin de cette détestable édition de l’Adone, publiée à Paris, 1680, sous le nom d’Amsterdam, et qui, sauf quelques obscénités impossibles à reproduire, mérite d’être lue. La bouffonne médiocrité de cet esprit, qui ne voyait en France, sous Henri IV ou Louis XIII, autre chose que des fraises empesées et des bottines enrubannées, la vivacité frivole du Napolitain, la spirituelle pantalonnade de ce roi littéraire qui trôna pendant vingt ans, y apparaissent d’une manière fort piquante, et, disons-le, fort instructive.

« Apprenez que je suis à Paris (écrit le Marino), m’adonnant sans réserve à la langue française, dont je ne sais encore que deux mots oui et non. C’est un assez beau progrès : tout ce que l’on peut exprimer au monde se résout en négation et en affirmation. Que vous dirai-je du pays ? C’est un monde pour la grandeur, la variété, la population ; un monde aussi d’extravagances. Notre globe n’est beau que par l’extravagance ; il ne vit que de contrastes, dont l’union se soutient. La France est le lieu du monde où il y a le plus de contrastes et de ces choses disproportionnées dont l’harmonie discordante soutient un pays. Costumes bizarres, folies terribles, mutations continuelles, guerres civiles perpétuelles, désordres sans règle, excès démesurés, combats, querelles, violences, embrouillaminis, ce qui devrait la détruire la fait subsister. Je vous dis que c’est un monde, un mondasse plus extravagant que le monde même. Tout y va sens dessus dessous. Les femmes y sont hommes, les hommes femmes. Les femmes sont reines à la maison et gouvernent tout. Les hommes usurpent la coquetterie, la pompe et l’élégance des femmes. Celles-ci s’étudient à sembler pâles, et vous diriez qu’elles ont toutes la fièvre quarte.

  1. Auteur espagnol célèbre par l’originalité souvent bouffonne de ses conceptions.