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LE MARINO.

elles se transforment ensuite en danseuses perlées, puis en fleurs vivantes, et ainsi de suite, pendant vingt strophes. Ce brodeur de poésie avait des ressources éternelles et toutes prêtes. La fécondité des images ingénieuses et colorées le sauvait. Ne parlant jamais à l’ame, jamais à la rêverie, il faisait de chacun de ses vers un sujet d’étonnement nouveau pour le lecteur. C’était là ce qu’il appelait ne pas imiter les anciens, et rejeter les vieilles modes : « Au diable, s’écrie-t-il quelque part, les toques à la Pétrarque et les pourpoints tailladés comme en portaient nos pères ! » Cette originalité prétendue, devenue calcul, réduisait la poésie à un mécanisme méprisable. La poésie, qui naît de l’émotion et qui tend à la beauté suprême, perdait ainsi sa chaleur intime et sa grace extérieure. Elle se détachait de tous les sentimens honnêtes et sérieux de l’homme ; elle flattait tous les vains caprices de l’esprit et toutes les sensations vulgaires du corps. Prodiguant les madrigaux et les stances, elle courait, comme une flamme inféconde et sans ardeur, sur la gaze des boudoirs et sur les stériles fleurs dont une beauté vénale est parée. Elle était immorale parce qu’elle était frivole, et vicieuse parce qu’elle était sans amour.

Nous ne parlerions point de cette poésie avec détail, nous ne lui consacrerions pas une attentive analyse, si elle n’avait trouvé en France un accueil trop tendre et trop hospitalier. Elle laissa dans notre littérature une trace qui, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, ne s’est point effacée. Secondant de son exemple et appuyant de l’autorité de son nom les efforts de l’hôtel de Rambouillet ; véritable père des galanteries sur une comète par l’abbé Cotin, sur un petit chien, sur un baiser, sur un bouquet, sur un ruban, Marino a donné naissance à la poésie enrubannée de Voiture et au style pompadour de M. de Bernis. Vous n’avez qu’à lire un volume de ses vers pour y retrouver toute la menue poésie de notre XVIIIe siècle, et les petites graces qui parsemaient le boudoir d’Arténice. Le hasard de sa naissance et de sa position rendit son influence double. Italien, il servit, mais uniquement sous le rapport du mauvais goût et de l’emphase arabe, l’invasion espagnole. Son arrivée en France, en 1615, coïncide avec la publication des mémoires espagnols d’Antonio Perez, dont il parle dans ses lettres[1] ; de ce Perez aujourd’hui fort oublié, important alors, ami d’Essex et favori de Henri IV. Il faut voir comment Walter Raleigh et le philosophe Campanella[2] s’expriment sur le compte de

  1. Lettere del Caval. Marino. Venezia. Sarsina, 1628, p. 200, l. 21.
  2. Campanella cite à plusieurs reprises Antonio Perez comme l’un des hommes