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NÉGOCIATIONS DE LONDRES.

C’est là, il faut le dire, le procédé singulier, étrange dont la France a à se plaindre aux yeux du monde, et que les explications de lord Palmerston n’ont ni expliqué ni justifié.

En somme, voici le fait résumé : on avait accordé héréditairement l’Égypte, viagèrement le pachalik d’Acre. On allait faire un peu plus, on allait peut-être donner la Syrie viagèrement, sous la condition de l’abandon de Candie, d’Adana, des villes saintes. Cela, on ne le propose pas à la France ; mais on le lui laisse entrevoir. La France n’a donc pas à s’expliquer encore ; néanmoins elle envoie M. Périer à Alexandrie pour préparer cette solution. Tout à coup éclate l’insurrection de Syrie ; on change brusquement de marche, on revient en arrière, et sans en avertir la France, sans lui demander une dernière explication, on signe une convention par laquelle on se sépare d’elle, par laquelle on se joint aux puissances du Nord, contre elle, quoi qu’on en puisse dire.

Voilà l’exposé exact des négociations, d’après des renseignemens que nous pouvons donner comme certains.

Maintenant, pourquoi faut-il rappeler ces faits ? Est-ce pour aigrir les deux nations, pour les pousser l’une contre l’autre ? Non, mais il faut, avant tout, que la vérité soit connue, pour que l’une et l’autre sachent comment les choses se sont passées, pour que la France ne s’exagère pas la nature du mauvais procédé, et que d’autre part l’Angleterre ne croie pas que tout s’est passé régulièrement.

Lord Palmerston a-t-il voulu outrager la France ? Non, on n’a pas facilement une telle intention. Mais lord Palmerston se voyait peu à peu entraîné à faire une concession nouvelle qui coûtait à sa politique, fausse ou vraie. C’est sur ces entrefaites qu’on lui annonce la prétendue insurrection de Syrie ; il y voit un expédient pour sortir d’embarras ; il assemble les négociateurs, il leur montre là un moyen, jusqu’alors inconnu, de réduire le pacha, et il signe sans la France une convention jusque-là regardée comme dangereuse et inadmissible. Il la cache à la France, uniquement dans un but, celui de finir plus tôt, plus sûrement, et peut-être de donner à l’amiral Stopford des ordres qui restent huit jours inconnus ! ordres arrivés trop tard, puisque l’escadre égyptienne est rentrée à temps dans le port d’Alexandrie.

C’est sur cette croyance, si légèrement fondée, sur cette croyance à l’insurrection de Syrie, qu’on a joué et compromis l’alliance française !