Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/654

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
650
REVUE DES DEUX MONDES.

L’Europe verra s’éloigner pour un temps indéfini, très long peut-être, une question dont la solution peut amener les plus grandes catastrophes.

Qui pourrait se plaindre de cet arrangement ? Ceux-là seulement qui auraient des vues secrètes et ambitieuses sur le territoire de l’empire ottoman ; ceux qui verraient avec douleur l’administration vigoureuse de quelques-unes de ses provinces lui offrir des forces et un modèle qui lui sont également nécessaires ; ceux, en un mot, qui ont intérêt à prolonger l’agonie de la Porte, pour qu’un jour elle se jette complètement épuisée dans les bras qui sont toujours ouverts pour la recevoir et pour l’étouffer.

C’est là le fond de la question, c’est là le vrai ; tout le reste n’est que sophismes et arguties. Défaire ce qui existe, c’est bouleverser l’Orient, c’est compromettre l’intégrité de l’empire ottoman et la paix du monde. Même dans la plus étrange des suppositions, dans l’hypothèse que Méhémet-Ali, oubliant tout à coup ses forces, ses antécédens, ses victoires, sa renommée, les intérêts de sa famille, sa vie tout entière, obéirait humblement aux sommations injurieuses de l’alliance anglo-moscovite, ces provinces ne tarderaient pas à devenir un champ de bataille où nous verrions ces amis d’hier se mesurer, d’un œil d’envie, et bientôt s’entredéchirer ; car, certes, il n’y eut jamais de pacte plus étrange, de convention plus inconcevable, d’accord moins durable que celui qui fait de l’Angleterre, de la maîtresse des Indes, l’instrument de la politique russe en Orient.

En présence de ce fait, il est des amis du pouvoir absolu qui se permettent de rire des gouvernemens constitutionnels. Pourquoi, disent-ils, ces étranges résolutions ? Pourquoi cet incroyable aveuglement ? Parce que des considérations de politique intérieure, des patronages de famille, des combinaisons électorales, ont forcé le cabinet anglais à laisser l’ambassade de Constantinople à lord Ponsonby, et n’ont pas permis aux collègues de lord Palmerston de rompre avec lui. Lord Palmerston, pour ne pas se brouiller avec une famille puissante, a dû se résigner à lord Ponsonby, et le cabinet à son tour a dû subir la loi de lord Palmerston. Lord Ponsonby a préparé de longue main, avec une insistance et une vivacité déplorables, toutes ces folies orientales ; lord Palmerston a fini par les adopter avec son opiniâtreté habituelle. L’un et l’autre en ont fait une question personnelle, une question d’amour-propre. Lord Ponsonby tenait à Londres depuis plusieurs mois un interprète de son ambassade pour qu’il insistât, pour qu’il pressât les ministres et les diplomates, exactement comme un plaideur entretient un solliciteur auprès d’un tribunal.

Certes, nous sommes loin de vouloir tirer de ces faits aucune conséquence contre le gouvernement constitutionnel ; mais nous reconnaissons que l’histoire emploiera un langage fort sévère en parlant un jour des causes qui ont enfanté un si grand évènement, un évènement qui peut compromettre la paix et la prospérité dont l’Europe avait le bonheur de jouir depuis vingt-cinq ans.

Le noble lord s’étonne de ces prédictions. À l’entendre, rien de plus paci-