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L’ANGLETERRE ET LE MINISTÈRE WHIG.

gnaient à peine le chiffre de 68,000, dépassent certainement aujourd’hui le chiffre d’un million. En Irlande, il n’y a que 800,000 anglicans contre 700,000 dissidens, et 6 millions 500,000 catholiques. En Écosse enfin, où le culte officiel est presbytérien, les catholiques, les méthodistes, font des progrès incontestés. Ajoutons à cela qu’en Angleterre comme en Écosse l’église établie porte en elle-même les germes d’un schisme qui se manifeste en Angleterre par la distinction entre ce qu’on appelle la haute et la basse église (high and low church), en Écosse par la querelle entre l’assemblée générale de l’église et les propriétaires de bénéfices.

Voici donc quelle est aujourd’hui la situation religieuse de l’Angleterre. Une église officielle abondamment pourvue des biens de ce monde et fort jalouse de les conserver, mais travaillée par des dissensions intérieures, et qui perd chaque jour quelques-uns de ses fidèles. À côté de cette église, une multitude de sectes qui toutes envient ses richesses et ses prérogatives ; puis, aux deux extrémités, le catholicisme et l’incrédulité pénétrant au sein du protestantisme par des côtés différens, et recueillant incessamment ceux qui dans ce tourbillon de croyances contradictoires ne trouvent plus l’appui dont leur faiblesse a besoin, et ceux qui, plus forts ou plus présomptueux, se lassent de chercher ailleurs qu’en eux-mêmes la source de leur croyance et la règle de leur conduite. Partout d’ailleurs, excepté dans un très petit nombre de sectes, une foi peu vive et des convictions peu actives ; partout une tendance évidente à séparer la religion de la politique, et à laisser chacun maître d’adorer Dieu comme il l’entend.

Je sais qu’à cette dernière opinion on peut opposer l’Irlande ; mais ce serait, je crois, s’abuser étrangement que de voir aujourd’hui dans la question irlandaise une question plus religieuse que politique. Il en était encore ainsi vers la fin du dernier siècle, quand les lois pénales existaient et que tous les protestans, bien que divisés d’ailleurs, faisaient cause commune contre les catholiques. Cette coalition existe-t-elle en 1840 ? Loin de là. Les catholiques ont pour alliés, d’une part, presque tous les dissidens ; de l’autre, bon nombre d’anglicans libéraux. Mais il y a quelque chose de plus remarquable encore. Vers la fin du dernier siècle, et plus récemment, ce sont les masses populaires qui se soulevaient au seul nom de papiste. Loin qu’elles eussent besoin de les exciter, les classes éclairées ne devaient songer qu’à les retenir et à les modérer. Ainsi, ce n’est point à lord Gordon, espèce de maniaque, qu’il faut attribuer la sanglante émeute protestante de 1780 ; mais lord Gordon trouva au-dessous