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diquent d’une part les dissidens, de l’autre les classes moyennes et les classes ouvrières. Il importe de remarquer que le parti réformiste comprend en ce moment les whigs, qui ne sont pas plus révolutionnaires que les tories. Or, c’est surtout la bannière des whigs que suivent les classes moyennes. Les classes moyennes, propriétaires, fermiers et industriels, peuvent bien trouver et trouvent certainement que leur part n’est pas assez grande, et que celle des classes supérieures l’est trop ; mais elles ont en même temps l’œil fixé sur les classes ouvrières, dont les désirs et les passions les inquiètent et les effraient. Le jour où les whigs se sépareraient des radicaux, on peut être assuré qu’une portion notable des classes moyennes s’en séparerait avec eux. Mais parmi ceux-là même qui au sein des classes moyennes et populaires se disent et se croient sincèrement démocrates, combien qui ne le sont que de nom, et qui cachent enracinées au fond de leur esprit les idées les plus aristocratiques ! N’est-ce pas, par exemple, l’idée aristocratique par excellence que celle du partage inégal de la terre entre les enfans d’un même père ? Eh bien ! cette idée sur laquelle repose tout l’édifice de la vieille constitution, cette idée qui, tant qu’elle vivra, rendra la démocratie impossible, qui ne sait qu’elle a en Angleterre pénétré toutes les parties de l’organisation sociale et pour ainsi dire passé dans le sang ? On croit généralement en France que la loi anglaise impose tyranniquement le partage inégal de la terre, et que la volonté paternelle n’y est pour rien. On se trompe. Quand la volonté paternelle est restée muette, la loi crée le privilége de l’aînesse ; mais pour que ce privilége n’existe pas, il suffit d’un mot. Si personne ne dit ce mot, c’est que tout le monde est convaincu que, pour les petites aussi bien que pour les grandes fortunes, le privilége de l’aînesse est utile et bon.

Depuis quelques années pourtant, il faut en convenir, les idées aristocratiques, jusqu’alors non contestées, ont rencontré d’habiles adversaires et subi de dangereuses attaques. Mais ce ne sont pas seulement les idées, ce sont les mœurs et les habitudes aristocratiques qui ont envahi la société anglaise. Or, les mœurs et les habitudes sont partout plus durables que les idées. Dans son cabinet, et du point de vue de la théorie, on consent à faire table rase et à livrer à la démocratie le gouvernement tout entier ; mais on ne consent pas aux conséquences naturelles et nécessaires de cette grande révolution. Qu’on voie l’accueil que beaucoup de démocrates anglais ont fait au beau livre de M. de Tocqueville. M. de Tocqueville n’a pas, je le soupçonne, un bien vif