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LA SICILE.

mulé la terre végétale sur les degrés de pierre ; de grands arbres s’y étaient élevés, et, protégeant ce lieu de leur feuillage, lui donnaient l’aspect solennel d’un immense tombeau. En même temps, les eaux d’un aqueduc sarrazin, amenées pour le moulin, sortant avec force des étages supérieurs, couvraient de leurs nappes fraîches tout ce vieux monument et invitaient à rêver par le bruit régulier de leurs cascades. Enfin, la mer, le golfe, la plaine, se déroulaient au loin et augmentaient encore la magnificence de ce spectacle dont nous étions bien loin de soupçonner l’effet en pénétrant dans ces misérables ruines. Sur une des plinthes du théâtre, on lit, en grands caractères grecs : ΒΑΣΙΛΙΣΣΑΕ ΦΙΛΙΣΤΙΔΩΣ. Le reste est caché par un mur contre lequel s’appuie le moulin, malgré les efforts d’un antiquaire distingué, le chevalier Landolina, qui avait proposé de reculer ce mur à ses propres frais, mais qui n’a pu faire agréer sa demande par le gouvernement. Ce mur, ou plutôt cette inscription, fait le désespoir des savans. La reine Philistide était-elle une souveraine de Syracuse que l’histoire a oubliée, ou le titre de Basilissas qui lui est donné désigne-t-il simplement la grande prêtresse de Bacchus, auquel le théâtre aurait été dédié ? C’est ce qu’on ignore ; mais de nombreuses médailles portant le même nom à l’exergue, représentant une femme d’une grande beauté, et frappées à diverses époques, ont été trouvées dans les fouilles. On en conclut que cette Philistide, soit prêtresse, soit reine, a vécu ou régné long-temps.

À la gauche du théâtre est une voie sépulcrale formée de deux rangées de tombeaux ; elle mène à une voie semblable et à des monticules de roc dans lesquels on a creusé les réduits funèbres. C’est en se promenant philosophiquement dans ces nécropoles, que Cicéron, alors questeur de la province Lilibétane, découvrit le tombeau d’Archimède, que surmonte, dit-on, celui de Timoléon.

En faisant la même promenade que Cicéron, on arrive au quartier d’Épipoli, qui était comme la banlieue de Syracuse, et aux latômies ou carrières qui s’y trouvent. Quelques-unes de ces carrières servaient de tombeaux aux vivans quand ils avaient eu le malheur de déplaire aux despotes, et on y montre encore le caveau où le philosophe Philoxène voulait qu’on le ramenât quand Denys lui lut ses mauvais vers. Le village de Belvedère a remplacé la citadelle qui terminait la nouvelle ville de ce côté ; or ce village est maintenant à plus de deux milles de la ville actuelle. Mais la plus curieuse des latômies est nommée le Palombino ; elle appartient à un joli couvent de capucins nommé Selva, qui s’élève sur les latômies elles-mêmes, dans le quar-