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États-Unis d’Amérique, représentés au parlement d’Angleterre, n’auraient pas eu à souffrir des injustices qui ont entraîné la séparation. L’Espagne n’aurait point perdu ses colonies par l’insurrection, si elle ne les avait pas opprimées, et si elle-même avait eu, au moment de leur crise, un état social plus régulier.

En attendant, l’absence du témoignage officiel des délégués de nos colonies ne sera pas bien sensible en ce qui se rapporte à l’intelligence des véritables intérêts de nos possessions d’outre-mer ; car, il faut le dire, l’administration de la marine a fait bien souvent, et le conseil des délégués a laissé faire, sans protestation, des fautes graves, dont l’effet a été arrêté quelquefois par des personnes que les colons regardent pourtant comme leurs ennemis. On vient d’en avoir un exemple cette année même. Une loi, tendant à introduire dans les colonies le régime hypothécaire du Code civil qui n’y est pas encore en vigueur, a été présentée à la chambre des pairs par l’administration de la marine, et sans opposition de la part des délégués. Cette loi, décisive quant à la propriété territoriale, qui est au moins la moitié de la fortune des colonies, présente en ce moment quelque chose de plus que des difficultés d’exécution : son application serait vraiment oppressive. Dans l’état actuel des choses, le sol et l’esclave ne font qu’un : ils sont immuables l’un et l’autre. Le sol et l’esclave sont le gage commun du créancier, mais ils sont aussi le moyen de libération du débiteur. Or, l’esclave est aujourd’hui sans valeur, puisque l’existence de l’esclavage est mise en question, et que le chiffre de l’indemnité n’est pas fixé. D’autre part, il y a un tel discrédit sur la propriété coloniale et une telle disette de capitaux dans ces régions, que les propriétés mises à l’enchère ne peuvent pas être vendues, même à vil prix. Au milieu de telles circonstances, la licitation judiciaire, quand elle est possible, n’est qu’un moyen frauduleux employé par le débiteur contre tous ses créanciers ou par le plus fort créancier contre les plus petits ; le plus souvent elle demeure oppressive pour le débiteur et sans profit pour le créancier.

C’était là pourtant le moment choisi pour introduire la licitation judiciaire des biens immeubles dans nos colonies, mesure dont l’opinion publique ne s’occupait pas, et qui n’intéresse sérieusement que quelques négocians des ports de mer, créanciers des planteurs. Si jamais quelque chose a pu ressembler à un complot contre la propriété coloniale, c’est bien cette loi. Heureusement elle a trouvé des juges compétens dans la commission de la chambre des pairs, et il est probable qu’elle n’en sortira que pour retourner dans les cartons de la direction des colonies. Cette destinée ne lui eût pas été assurée déjà, que la question se trouverait tranchée par la nomination d’une commission ayant un objet plus général. Un des membres de la commission de la chambre des pairs, qui a le plus insisté sur les difficultés de cette introduction immédiate du régime hypothécaire dans les colonies, M. Rossi, fait aujourd’hui partie de la commission du gouvernement. En le voyant appeler, les colons ont dit : « C’est un ennemi de plus. » Les ennemis de ce genre valent mieux que certains alliés.

J’en dirai autant de M. de Tocqueville, autre ennemi, signalé aux colons