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JOURNAL D’UN OFFICIER DE MARINE.

les ciselures sans nombre qui ornaient l’extérieur de ce brillant logis. J’aurais voulu voir paraître à une fenêtre la tête d’une des divinités de ce petit temple ; mais les belles de ces harems flottans ne paraissent que la nuit, et pour leurs sultans momentanés. Pendant que j’avais les yeux fixés avec curiosité sur le flower-boat, un vieux Chinois, les coudes appuyés sur sa fenêtre, me regardait, de son côté, avec non moins d’intérêt. Son bateau touchait presque la goëlette, et je vois encore d’ici ses yeux plissés si expressifs, son front rasé soigneusement autour de la naissance de la queue, et les poils gris clair semés de ses moustaches, qui allaient rejoindre sur le menton une mouche d’une longueur démesurée. J’étais à contempler ce singulier voisin, quand arriva à bord un jeune Français, M. Loffeld, employé chez le consul hollandais, M. Van-Baser ; il venait chercher deux des nôtres pour leur offrir un logement au consulat, et il ne tarda pas à repartir en les emmenant avec lui.

Bientôt Amouna, la jolie batelière de notre excellent Durand, étant arrivée, nous entrâmes dans son bateau pour traverser la fourmilière d’embarcations qui nous séparait des quais. Amouna et sa compagne, qui ramait devant, justifièrent la bonne opinion que nous avions d’elles ; leur légère tanca trouva moyen de se glisser dans les plus étroits passages ; elle évita habilement les autres bateaux, parmi lesquels un abordage semblait inévitable à cause du rapide courant du fleuve, et nous fûmes débarqués sains et saufs sur un beau quai faisant partie de la grande place des factoreries. Nous laissâmes dans la tanca tous nos effets aux soins d’Amouna, et, conduits par Durand, nous nous dirigeâmes vers la somptueuse demeure du premier négociant anglais de Canton, M. Dent, le frère du riche collecteur de Gondelour. Nous y allions déjeuner, et nous arrivâmes à temps, car on était à table. M. Dent n’y était pas ; mais, dans ces maisons princières, l’absence du maître n’empêche pas le service de table d’aller comme à l’ordinaire.

En sortant de cette maison, nous allâmes chez un jeune négociant, Portugais d’origine, M. Pereyra, où nous attendait un logement à côté de celui de Durand. Nous fûmes reçus avec une simplicité pleine de grace ; l’hospitalité offerte ainsi, sans bruit et sans ostentation, comme une chose toute naturelle, en devient certainement dix fois plus précieuse. M. Pereyra nous montra nos chambres, qui étaient toutes trois sur le même palier ; il fit venir l’intelligent Chinois qui devait nous servir, nous donna les heures pour le déjeuner et le dîner, et descendit à son bureau, nous laissant entièrement à nos affaires, que nous n’avions pas trop le temps de négliger. Bientôt