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tentures, sur ses autres faces, des rouleaux déployés de papiers couverts de sentences morales en caractères chinois. Un superbe tapis couvrait le plancher, et toutes les chaises, faites en beau bois verni, étaient ornées de housses en drap bleu chargées de broderies de soie représentant des fleurs. Des dressoirs, disposés autour de la salle, pouvaient servir à porter les plats et la vaisselle ou à découper les rôtis ; enfin, au milieu, trois tables, placées en triangle et séparées entièrement les unes des autres, devaient recevoir chacune cinq convives et un des maîtres de la maison destiné à en faire les honneurs. Il faut remarquer ici que cette disposition en triangle n’est pas seulement une affaire de mode, mais bien de nécessité ; en effet, les grands dîners chinois sont toujours accompagnés de danses ou de tours de jongleurs ; pour que tout le monde puisse voir sans se déranger, il faut donc que les tables soient disposées ainsi et que l’un de leurs côtés soit inoccupé ; c’est ce qui avait lieu ici. C’était l’ami des Min-qua qui faisait les honneurs de la table à laquelle j’avais été placé. Nous avions chacun devant nous une soucoupe en porcelaine, deux petits bâtons en ébène garnis en argent à leur extrémité, et dans un triangle de papier rouge et blanc un cure-dent fait avec l’articulation de l’aile d’une chauve-souris, puis enfin, pour compléter notre couvert, une toute petite tasse pour boire le cam-chou, et une petite soucoupe pleine d’une sauce noire faite avec des cloportes. Une douzaine de bols en porcelaine à fleurs bleues contenant des mets fort délicatement apprêtés, mais tout-à-fait étrangers pour nous, couvraient une grande partie de la table ; l’autre, celle qui était sans convives, destinée à flatter l’œil et à rester intacte, était ornée d’une profusion de bols pleins de fleurs et de fruits ; on y voyait aussi des gâteaux couverts de pépins d’oranges si artistement piqués et dans des formes si bizarres, qu’on cherchait en vain un nom pour ces plats déguisés..

Le repas commença. Le Chinois qui présidait à notre table savait quelques mots d’anglais ; nous pouvions donc nous faire comprendre et demander ce qu’il fallait faire. D’ailleurs, Durand, habitué à la Chine comme un vieux Mantchou, nous guidait dans la périlleuse entreprise de faire honneur à cet étonnant festin. Prenant artistement ses deux bâtons d’une main, il se mit à piocher à droite et à gauche dans chaque plat (c’est de bon goût), goûtant tout avant de se décider pour une des merveilles culinaires qui nous étaient offertes ; nous voulûmes faire comme lui, mais notre maladresse était désespérante. Ayant d’abord la plus grande difficulté à placer dans nos doigts les bâtons rebelles, nous finissions toujours par laisser tomber le mor-