Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/904

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
900
REVUE DES DEUX MONDES.

Nous voulions dire seulement que l’avenir du monde, sous une forme ou sous une autre, c’est la démocratie, c’est-à-dire l’abolition du privilége, l’établissement de l’égalité civile.

Quoi qu’il en soit, nous regrettons de ne pouvoir entrer ici dans les détails de l’ouvrage. D’ailleurs, nous serions embarrassé pour le choix. Le nombre des questions à la fois importantes et curieuses que M. de Tocqueville a soulevées est si grand, qu’on n’a pas plutôt mis le doigt sur l’une d’elles, qu’on éprouve le regret de ne pas avoir choisi l’autre.

Qu’on nous permette seulement de rappeler ici une question qui nous semble des plus propres à faire connaître l’ingénieuse sagacité, et je voudrais pouvoir dire la curiosité, des recherches de M. de Tocqueville. Cette question, la voici : Pourquoi l’étude de la littérature grecque et latine est particulièrement utile dans les sociétés démocratiques ? La solution que le lecteur trouvera dans le chap. XV du premier volume peut se résumer en ces mots : Les écrivains de l’antiquité n’ont écrit que pour les connaisseurs ; rien dans leurs œuvres ne semble fait à la hâte ni au hasard ; la recherche de la beauté idéale s’y montre sans cesse. Les littératures démocratiques, au contraire, fourmillent toujours (dit M. de Tocqueville) de ces auteurs qui n’aperçoivent dans les lettres qu’une industrie, et, pour quelques grands écrivains qu’on y voit, on y compte par milliers des vendeurs d’idées. Prise dans son ensemble (dit-il ailleurs), la littérature des siècles démocratiques ne saurait présenter, ainsi que dans les temps d’aristocratie, l’image de l’ordre, de la régularité, de la science et de l’art ; les formes s’y trouvent d’ordinaire négligées et parfois méprisées. Le style s’y montre souvent bizarre, incorrect, peu soigné et mou, et presque toujours hardi et véhément. Les auteurs y viseront à la rapidité de l’exécution plus qu’à la perfection des détails. On tâchera d’étonner plutôt que de plaire, et l’on s’efforcera d’entraîner les passions plutôt que de charmer le goût.

Je ne veux pas demander à l’auteur d’où lui sont venues toutes ses observations si judicieuses, si spirituelles, sur la littérature des peuples démocratiques. Ce n’est pas, à coup sûr, d’Amérique. « Les habitans des États-Unis n’ont point encore, à proprement parler, de littérature. Les seuls auteurs qu’il reconnaisse aux Américains, sont des journalistes. » Nous pourrions bien soupçonner M. de Tocqueville d’avoir, en écrivant plusieurs de ses chapitres, regardé du coin de l’œil ailleurs qu’en Amérique. Il ne procède pas autant qu’il en a l’air, à priori, et par voie de divination. La démocratie améri-