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POLITIQUE EXTÉRIEURE.

est plus près d’eux, c’est celui de la municipalité. Ils ont d’ailleurs entendu dire qu’ils étaient libres, et pour quiconque n’a pas approfondi la notion si complexe de la liberté moderne, être libre, c’est avoir le droit de faire du bruit dans la rue. Le plus grand soin de tous en pareil cas, c’est d’éviter l’effusion du sang. À quoi bon des Espagnols se tueraient-ils entre eux pour des questions politiques qu’ils ne comprennent pas parfaitement ? L’émeute prend bien garde à ne se montrer que lorsqu’elle est sûre de ne pas trouver de résistance ; de son côté, la résistance disparaît et fraternise avec l’émeute. Si quelques coups de feu sont échangés dans le premier désordre, on ne manque pas de vous dire, comme on l’a fait pour ce qui s’est passé à Madrid entre l’escorte du général Aldama et un poste de milice, que c’est l’effet d’un malentendu.

Le 1er septembre, un voyageur français se promenait dans Madrid. Étonné de l’appareil militaire qui remplissait les rues, et de l’air fort peu animé des miliciens sous les armes, il s’approcha de plusieurs groupes pour demander ce qu’il y avait : Nada, rien, lui répondaient les miliciens en fumant leurs cigarettes avec cet inimitable sang froid espagnol qui sert de correctif à l’exagération nationale. Pas un cri n’était proféré ; personne à peu près ne savait de quoi il était question, et ce que voulait le corps municipal. Une petite pluie survint ; chacun laissa son fusil et courut s’abriter de son mieux sous les portes en maudissant son service ; il n’y avait en belle humeur que les manolas ou grisettes de Madrid, pour qui une émeute est un jour de fête, et qui agaçaient les miliciens de bonnes grosses plaisanteries à l’espagnole.

Les autorités de Madrid n’ont fait aucune résistance. Le chef politique ou préfet s’est laissé prendre dès les premiers momens ; il s’est porté avec sept ou huit hommes au milieu d’un rassemblement dirigé par le premier alcade, qui l’a fait prisonnier. Quant au capitaine-général, c’est un homme de cœur, mais qui a promptement perdu la tête. Il avait plus de forces qu’il n’en fallait pour contenir l’émeute, mais il a manqué le bon moment ; il a laissé cinq heures entières à la milice pour occuper les positions les plus militaires. Or, en Espagne encore plus que partout ailleurs, quand les chefs manquent, tout manque à la fois. Dès que le chef politique a été annulé, il n’y a plus eu de gouvernement ; dès que le capitaine-général s’est replié sur le Retiro, il n’y a plus eu d’organisation militaire.

La garde nationale de Madrid se compose de huit bataillons, sans compter la cavalerie, en tout environ neuf mille hommes. Les exaltés