Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/147

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
143
LITTÉRATURE DU NORD.

se rappelle le baron de Lassberg, qui avait fait imprimer, d’après un manuscrit, les chants des Niebelungen sur les murs de la principale salle de sa maison.

Quoiqu’il y ait bien à rabattre de ce fanatisme, on ne peut disconvenir du cachet vraiment original empreint sur ces bizarres productions. Aussi bien que les Niebelungen, les Eddas méritent d’être étudiées. Il va sans dire que ceux qui cherchent, dans les monumens primitifs, des inductions sur les croyances théogoniques des peuples, sur les caractères et les mœurs des vieilles races, ont beaucoup à profiter de la lecture de ce recueil, où la grace naïve s’allie quelquefois à la plus étrange rudesse, et les plus beaux mouvemens de l’ame au plus féroce orgueil, au plus cruel égoïsme. Il y a là plus d’une révélation curieuse sur les tendances des sociétés au berceau.

La philosophie elle-même aurait quelque profit à tirer de ces antiques documens. Je n’en veux qu’un exemple. J’ouvre l’Edda de Sturleson et je trouve cette phrase : « Nous donnons le nom d’Odin au maître de l’univers, parce que ce nom est celui du plus grand homme que nous connaissons. Il faut que les hommes l’appellent ainsi. » Quelle portée, quelle révélation dans ces simples mots ! n’expliquent-ils pas d’une manière frappante comment les anciennes croyances mythologiques des peuples sont semées de souvenirs humains et historiques ? Les hommes, ne sachant quel nom donner à Dieu, l’appellent du nom du plus grand homme qu’ils connaissent ; mais bientôt les souvenirs de la vie de cet homme se mêlent dans leur esprit avec les données que la réflexion leur fournit sur l’être suprême, et de cet ensemble ils construisent l’histoire, les uns d’Odin, les autres de Jupiter. Ainsi naissent les théogonies, ainsi débutent les religions.

Nous voilà bien loin de notre sujet, bien loin surtout des Œuvres d’Isaïe Tegner[1], que Mlle du Puget a également traduites. Avec Tegner, que M. Marmier nous a fait aimer, nous quittons les vieilles plages scandinaves pour les temps tout-à-fait modernes. Tegner, on se le rappelle, est un des poètes les plus populaires de la Suède. Les types d’Axel et de Frythiof se retrouvent crayonnés dans toutes les chaumières du Nord, comme Malek-Adel (hélas !) et Atala dans nos auberges de villages. Tegner est un poète charmant, plein d’harmonie, de grace, de douceur ; mais M. Marmier lui-même lui refuse l’invention et la force. Son style est flottant, indéterminé, éthéré, comme trop souvent celui de Lamartine. M. Sainte-Beuve a même pu rapprocher la gracieuse idylle de la Première Communion du poème de Jocelyn. Tegner enfin a abandonné l’art tout comme l’illustre et grand poète qu’il reflète de loin. Il est devenu évêque et fait des homélies, de même que M. de Lamartine est devenu député et fait des discours. C’est la différence de la Suède à la France.

Tegner dit quelque part, dans une de ses aimables poésies, fort heureuse-

  1. Un vol. in-8o, chez l’éditeur, rue Saint-Lazare, 66.