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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

l’affaire. Du Bellay et Ronsard venaient de se rencontrer, ils s’étaient pris d’amitié vive ; Du Bellay surtout, dans sa première ferveur, voulait réparer les années perdues ; il brûlait d’ennoblir la langue, la poésie française, et d’y marquer son nom. Ronsard, plus grave, mieux préparé et au terme de sa longue étude, se montrait aussi moins pressé. À ce collége de Coqueret, où Du Bellay n’était peut-être pas tout-à-fait d’abord sur le même pied d’intimité que les autres, on parlait des projets futurs, des prochaines audaces ; Du Bellay lisait ses premiers sonnets ; mais, dès qu’il s’agissait de l’ode, Ronsard, dont c’était le domaine propre, ne s’expliquait qu’avec mystère et ne se déboutonnait pas ; il avait ses plans d’ode pindarique, ses secrets à lui, il élaborait l’œuvre, il disait à ses amis avides : Attendez, et vous verrez. Or, comme je le suppose, Du Bellay, impatienté de cette réserve d’oracle et voulant rompre au plus vite la glace près du public, n’y put tenir, et il déroba un jour du tiroir le précieux cahier sibyllin, non pas pour copier et s’approprier aucune ode (rien de pareil), mais pour en surprendre la forme, le patron ; et, une fois informé, il alla de l’avant. Pure espièglerie, on le voit, d’écolier et de camarade. Ronsard s’en fâcha d’abord : il prit la chose au solennel, dans le style du genre, et voulut plaider ; puis il en rit. Ils restèrent tous deux trop étroitement, trop tendrement unis depuis, la mort de l’un inspira à l’autre de trop vrais accens, et cette mémoire pleurée lui imprima avec les années une vénération trop chère, pour qu’on puisse supposer qu’il y ait jamais eu une mauvaise action entre eux[1].

Ceci bien expliqué, il y a pour nous à apprécier ces premières œuvres de Du Bellay publiées en si peu de temps, presque dans le seul espace d’une année, et qui marquèrent avec éclat son entrée dans la carrière. Un assez long intervalle de silence suivit, durant lequel sa seconde manière se prépara ; car, dès l’année 1550, ou 1551 au plus tard, et probablement pendant que ses amis de Paris vaquaient à l’impression de son Olive, il partait pour Rome et s’y attachait au cardinal son parent, pour n’en plus revenir que quatre ans

  1. Et si cela avait été, Du Bellay aurait-il pu, dans l’Hymne de la Surdité, adressée à Ronsard, s’écrier en parlant au cœur de son ami :

    Tout ce que j’ai de bon, tout ce qu’en moi je prise,
    C’est d’être, comme toi, sans fraude et sans feintise,
    D’être bon compagnon, d’être à la bonne foi,
    Et d’être, mon Ronsard, demi-sourd comme toi ?

    Nous reviendrons ailleurs sur cette surdité-là.