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celle dont Bonaparte avait fait, au profit de son frère, le royaume de Westphalie, la domination française avait été trop impopulaire et de trop courte durée pour laisser des traces profondes. Le retour des anciens souverains y avait été accueilli avec un enthousiasme qui ne permettait pas d’être très exigeant à leur égard, et le rétablissement des vieilles institutions pouvait y paraître un complément naturel de la restauration des dynasties légitimes. Il n’en était pas de même du midi de l’Allemagne, qui avait subi à un haut degré l’influence française. D’abord, les pays de la rive gauche du Rhin avaient fait partie de la France pendant vingt ans, le régime féodal y avait complètement disparu, et le code Napoléon y avait implanté des idées et des habitudes démocratiques. Quant aux états de la rive droite, comme le grand-duché de Bade, le Wurtemberg et la Bavière, c’était à la France qu’ils devaient leur agrandissement et la nouvelle importance qu’ils avaient acquise : ils avaient long-temps lié leur fortune à celle de Napoléon, leurs armées s’étaient unies aux siennes pour conquérir le reste de l’Europe, et leurs gouvernemens s’étaient plus ou moins modelés sur le gouvernement impérial. Pour établir l’unité et la régularité despotique de l’administration française dans des pays qui, comme la Souabe et la Franconie, avaient été, au temps du saint empire, presque exclusivement peuplés de seigneuries immédiates et de villes libres, il avait fallu procéder révolutionnairement, c’est à-dire s’attaquer directement à tout ce qui avait ses racines dans le passé. On avait donc beaucoup détruit, beaucoup nivelé, beaucoup bouleversé ; pour diminuer les résistances ou les rendre inefficaces, on avait travaillé sans relâche à décrier dans l’esprit des peuples les vieilles institutions, les vieilles coutumes, les vieilles croyances. On n’avait cessé de lui parler de lumières, d’idées libérales, de progrès, sans trop s’inquiéter si les armes qu’on employait dans l’intérêt momentané du pouvoir, ne seraient pas quelque jour retournées contre lui avec avantage. C’étaient donc les gouvernemens eux-mêmes qui avaient préparé les populations de l’Allemagne du sud à entrer plus tard, comme de plain-pied, dans la carrière des innovations et des expériences politiques. D’un autre côté, ces gouvernemens n’avaient donné qu’une adhésion tardive et forcée au mouvement national de 1813 ; ils ne s’étaient joints à la coalition contre Napoléon qu’au dernier moment, lorsque le déclin rapide de la fortune du conquérant eut donné à penser qu’il y avait moins de risques à courir en cédant à l’entraînement populaire qu’en y résistant. Aussi, malgré la part active qu’ils avaient prise aux dernières luttes, ils étaient