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LE BRIGANDAGE DANS LES ÉTATS ROMAINS.

plutôt : voici mon étui à lancettes et mon sac d’instrumens. Le chef ne parut pas satisfait de ma réponse, et me jetant mon étui à lancettes qu’il avait pris : — Puisqu’il en est ainsi, nous verrons à nous arranger pour ta rançon, me dit-il. — Hélas ! lui répondis-je les larmes aux yeux, ma pauvreté est extrême ; je me rendais à Tivoli pour soigner un étranger qui m’aurait fait peut-être gagner un peu d’argent. — Eh bien ! reprit-il, je vais te donner de l’encre et du papier, et tu écriras à cet étranger de t’envoyer sur-le-champ deux mille écus d’or ; dis-lui que, s’il refuse, nous sommes bien décidés à te mettre à mort. — Quelque faible que fût mon espoir, je me hâtai d’écrire de la manière la plus pressante au signore Celestini, le priant de m’envoyer tout l’argent dont il pourrait disposer, l’assurant qu’aussitôt que je serais rendu à la liberté, je m’empresserais de lui rendre la somme en vendant tout ce qui m’appartenait. Ma lettre achevée, le chef envoya deux de ses gens chercher dans la plaine un homme de Castel-Madama qu’il avait aperçu le matin. Quand cet homme fut venu, je le priai de porter sur-le-champ ma lettre au signore Celestini, et je le chargeai en même temps de lui remettre ma trousse de chirurgien pour qu’il vît qu’on ne le trompait pas. Ce paysan, qui était un brave homme, consentit de grand cœur à me rendre ce service. Il prit la lettre, et me donna un morceau de pain qu’il avait sur lui. Le chef le fit monter sur un de nos chevaux qui paissaient au pied de la montagne, et il prit aussitôt le chemin de Castel-Madama, me recommandant d’avoir bon courage. »

Dans l’intervalle de temps qui s’écoula depuis le départ jusqu’au retour du messager, le malheureux Cherubini fut témoin d’une scène affreuse bien propre à accroître encore sa terreur.

Marasca, son compagnon, dont il avait soupçonné la fidélité, paraissait toujours au mieux avec les brigands ; il riait avec eux, examinait leurs armes, et par momens les menaçait du geste quand ils avaient le dos tourné. — Mes soupçons, dit le chirurgien, s’étaient donc presque changés en certitude, mais j’eus bientôt occasion de voir combien ils étaient injustes et peu fondés. Les brigands accueillaient ces avances avec dédain, et observaient ses gestes en silence. Marasca, craignant de les ennuyer, vint s’asseoir auprès de moi ; il y était à peine depuis quelques instans, lorsque le chef, s’approchant d’un air calme, lui asséna tout à coup sur la nuque un vigoureux coup de bâton, et cela sans proférer une seule parole. On eût dit un boucher assommant un bœuf. Marasca, étourdi du coup, eut cependant la force de se lever et de s’écrier d’une voix suppliante : Au