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pas, en traversant lentement les Légations et la Lombardie, et en suivant, jusque dans notre pays, à Arles, à Nîmes, à Orange, les moindres traces de l’art antique, si imposant encore sur le sol de la Provence ; c’était là le fruit de six années d’études en Italie qu’il rapportait à la France.

Mais, en revenant à Paris, notre architecte n’y retrouvait plus ce qu’il y avait laissé, ni ce qui pouvait lui procurer, avec l’emploi de ses talens, le prix de ses travaux. Le 10 août 1792 avait bien changé l’aspect du château des Tuileries. Le palais de Philibert Delorme avait perdu ses hôtes augustes, et l’humble demeure de son père était transformée en corps de garde. Ce fut là pour M. Percier, au terme de ces six années d’étude et d’enchantement, une de ces soudaines et terribles révélations qui produisent l’effet d’un réveil subit au milieu d’un rêve agréable. Mais pour perdre ainsi tout d’un coup toutes ses espérances d’avenir avec toutes ses illusions du passé, notre artiste ne se découragea pas. Il lui restait une double ressource en lui-même et dans l’ami qui avait été son compagnon d’études à Rome, et qui se trouvait, comme lui, fugitif de Rome et égaré à Paris. C’est alors que ces deux hommes, rapprochés plus que jamais par le sentiment et par le besoin, se réunissent pour ne plus se quitter ; ils mettent en commun tout ce qu’ils possèdent, et qui se réduit à peu près à leur portefeuille ; ils habitent ensemble une chambre, où il n’y a guère de meuble que la table où ils travaillent à côté l’un de l’autre ; et c’est dans cette demeure, où ils sont cachés pour tout le monde, où la révolution elle-même n’aurait pu les découvrir, s’ils eussent été des proscrits, au lieu de n’être que des artistes, que la fortune vient les chercher. Sous quelle forme ? C’est peut-être ce qu’il y a de plus intéressant dans l’histoire de M. Percier, parce qu’il s’y trouve, avec un trait particulier aux deux artistes, une leçon qui peut profiter à tout le monde.

L’homme qui vint frapper à leur porte était un fabricant de meubles qui avait obtenu la fourniture du mobilier de la convention, et cet homme venait demander des dessins de bureaux et de fauteuils à des mains qui ne s’étaient exercées jusqu’alors que sur les bas-reliefs de la colonne Trajane et sur les moulures du Panthéon. Mais ces mains étaient encore obscures, et c’était cette obscurité même qui leur valait la visite du riche entrepreneur. Nos deux artistes acceptent avec joie l’occasion qui leur est offerte de faire une première application de leurs études à des œuvres si peu dignes de leurs talens. Les voilà qui se mettent à dessiner tout un mobilier nouveau pour une