Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
LE BRIGANDAGE DANS LES ÉTATS ROMAINS.

la gauche. Les brigands nous firent monter sur une colline qui dominait le point d’où partaient ces voix. Quand nous fûmes arrivés sur une petite plate-forme entourée de broussailles, les bandits nous placèrent derrière eux, et, tenant leurs armes prêtes, crièrent aux nouveaux venus d’approcher et de se coucher la face contre terre. Le messager de Tivoli, car c’était lui, leur répondit brusquement — À quoi bon me coucher ? c’est assez de m’être tué de fatigue pour grimper jusqu’ici avec la charge de 500 écus. Tenez, voilà votre argent, ajouta-t-il en présentant le sac à Masocco ; c’est là tout ce qu’on a pu se procurer dans la ville. — C’est bien, répartit celui-ci ; il prit ensuite le sac, compta l’argent, trouva la somme exacte, loua le paysan de sa probité et lui donna les trois écus que je lui avais remis. Cela fait, il renvoya quelques paysans qu’il avait ramassés sur la route peu après mon arrestation, et qui embarrassaient notre marche ; puis il donna le signal du départ.

— Maintenant que vous avez reçu tant d’argent pour moi, pourquoi ne me renvoyez-vous pas comme les autres ? dis-je au chef avec impatience. — Nous voulons attendre le retour du messager de Castel-Madama, peut-être nous rapportera-t-il un sac d’écus comme celui de Tivoli. — Vous vous trompez, Castel-Madama est une misérable bourgade, et on ne pourrait s’y procurer quatre écus. — Nous verrons. — Alors il valait mieux me tuer tout de suite, car s’il faut que je passe la nuit dans ces montagnes, mouillé comme je suis, ma santé sera détruite pour jamais. — Ta santé et ta vie nous importent fort peu, et je te conseille de te taire, reprit le chef avec humeur, car mes compagnons pourraient bien s’offenser de ton langage.

J’aurais voulu répliquer, que cette réponse m’eût fermé la bouche. Je me tus, et un brigand, qui me donnait le bras pour m’aider à gravir la colline, me dit que j’avais bien raison de ne pas raisonner davantage, car ni lui ni ses amis ne tenaient pas plus à ma vie qu’à celle d’un chien.

Nous marchâmes ainsi toute la soirée ; vers le tiers de la nuit, nous fîmes halte à quelque distance de masures auprès desquelles nous trouvâmes un âne qui appartenait à des bergers du voisinage. J’étais épuisé de fatigue ; le chef eut pitié de moi ; il fit étendre sur le dos de l’âne un manteau de peau de mouton, et me fit monter dessus ; puis il pressa la marche de la troupe, qui ne tarda pas d’arriver aux environs de huttes abandonnées près du sommet de la montagne. Là on alluma un grand feu dans une aire à battre le blé. Le chef me dit de me déshabiller pour faire sécher mes vêtemens, et comme mes mem-