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Donizetti, puis viendront Otello, la Semiramide, Don Juan. Si nous en croyons l’énergie, la voix, l’inspiration qu’elle a déployées dans Norma, la Grisi fera des merveilles cette année et tiendra tête hardiment au répertoire ; la Persiani continuera comme par le passé à chanter Lucia et Zerline ; et Rubini, Lablache et Tamburini aidant, nous aurons encore de ces belles soirées d’élan et d’enthousiasme, de ces fêtes mélodieuses auxquelles les Italiens nous ont accoutumés, et que personne ne veut voir finir, car, après tout, c’est encore là qu’est la musique. Où serait la musique, où serait le plaisir, si les Italiens venaient à nous manquer ? Tant de chanteurs ont déserté notre scène lyrique, tant de nobles voix se sont éteintes, tant de belles danseuses se sont envolées, qu’il y aurait de notre part de l’ingratitude à négliger ces grands artistes qui nous restent fidèles.

Une chose vraiment triste et qu’on ne saurait contester, c’est l’état de décadence où se trouve l’Opéra. Qui parle aujourd’hui de cette noble scène, où jadis la musique et la danse déployaient chaque soir leurs merveilles devant un public immense, plein d’enthousiasme et d’amour ? Qu’est devenu ce foyer si fréquenté des gens du monde, ce théâtre où l’on accourait au premier appel, presque sans regarder l’affiche, et sur la foi du directeur, en ces temps glorieux, où l’impulsion du trio de Robert-le-Diable et d’un pas de Taglioni dans la Sylphide réagissait le lendemain sur la Juive et la Tempête ? Hélas ! de tant de luxe et de richesses, il ne reste plus rien désormais ; tout cela s’en est allé lambeau par lambeau, talent par talent, voix par voix. Parce que la mode avait adopté l’Opéra, on se fiait sur elle sans réserve, comme si la mode ne variait jamais : la mode est un peu comme le ciel, elle n’aide guère que ceux qui savent s’aider eux-mêmes. Tant que l’Académie royale de Musique a marché dans une voie intelligente et sûre, la mode ne lui a pas fait défaut d’un jour, d’une représentation, d’une heure. Elle était là toujours au service de la maison, embouchant sa trompette pour une répétition générale, pour un début, échauffant le zèle du public, remuant les petites passions intestines au profit de l’administration, occupant tout Paris d’une querelle de coulisse. Mais les jours de désastre sont venus, la dissolution s’est mise partout. Franchement alors que lui restait-il à faire ? Chanteurs, cantatrices, danseuses, elle a vu partir tout le monde, elle a suivi des yeux tristement Nourrit, Mme Damoreau, Mlle Falcon, Taglioni ; puis, quand elle a vu qu’elle attendait en vain et que personne ne venait d’Italie ou d’Allemagne pour les remplacer, elle s’en est allée, elle aussi, la dernière, il est vrai, mais elle s’en est allée. Déjà depuis long-temps le malaise se faisait sentir. D’où vient cela ? serait-ce à dire que l’Opéra doit finir, et les théâtres auraient-ils, comme les individus, des périodes de jeunesse, de virilité et de décrépitude ? S’il en était ainsi, l’histoire contemporaine de l’Académie royale de Musique pourrait se diviser en trois ères bien distinctes : l’ère de gloire et de richesses, sous M. Véron, lorsque musiciens, cantatrices et danseuses abondaient de part et d’autre, lorsqu’on trouvait Robert-le-Diable sans le chercher, presque sans le vouloir ; l’ère vul-