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REVUE. — CHRONIQUE.

quelques physiologistes qui font une objection anatomique assez notable. Il existe, disent-ils, deux lames dans le crâne, et il arrive souvent qu’il y a disjonction entre les deux lames superposées, de telle sorte qu’à une convexité externe correspond quelquefois une concavité interne ; d’où il suivrait qu’on ne peut pas diagnostiquer les formes du cerveau par celles de la tête. Je sais très bien la réponse des phrénologues ; ils ne manquent pas d’objecter que cette disjonction des deux lames du crâne n’existe que chez les vieillards. Mais il y a peut-être une autre objection à faire à la localisation des facultés dans le cerveau, c’est que la théorie des facultés admises par Gall et Spurzheim est très contestable, et qu’ils localisent des facultés qui n’existent pas. Qu’on me fasse comprendre par exemple comment l’acquisivité ou amour de la propriété, pour me servir de la langue quelque peu barbare des phrénologues, est une faculté, une aptitude native, originelle ! il ne faudrait pas nier cependant que le développement moral et intellectuel agisse sur le cerveau et sur le système nerveux, et ne détermine des modifications profondes dans la tête humaine. Nier cela, ce serait nier que l’esprit agit sur l’appareil nerveux et cérébral, fait aussi incontestable en psychologie qu’en physiologie. Les crânes des peuples qui ont reçu une éducation différente et qui n’ont pas le même but d’activité, offrent des dissemblances caractéristiques, mais de là à une localisation de détail il semble qu’il y ait vraiment un abîme. Du reste, je ne veux aucunement mettre en doute la bonne foi de M. Voisin, qui a fait au bagne de Toulon des expériences très remarquables.

Que la crânioscopie soit vraie ou fausse, le livre de M. Voisin demeure comme un très intéressant travail d’observation. Dans la première partie de l’ouvrage, qui nécessite une partie correspondante, il n’est parlé que de l’homme animal. L’auteur étudie les facultés de ce dernier ordre dans leur état rudimentaire, dans leur état normal et dans leurs excès. Il en fait en quelque sorte la biographie exacte, microscopique ; il suit la passion depuis sa première manifestation instinctive jusqu’à son paroxysme. Il y a dans cette histoire d’une passion écrite avec feu je ne sais quoi de dramatique qui émeut comme un spectacle inconnu. L’idée générale et comme la prémisse constante du livre du docteur Voisin, c’est qu’il y a en nous des passions animales qui entrent en action d’elles-mêmes et qui n’ont pas besoin d’incitation, et d’autres, les facultés intellectuelles et morales, qui sont ce que l’éducation les fait être. Cette distinction nous paraît incontestable, et nous reconnaissons pleinement la toute puissance de l’éducation. Seulement il est bon de le dire en passant, le terme d’éducation n’éveille pas dans tous la même idée. Nous ne savons pas exactement ce que M. Voisin entend par là ; mais enfin le mot est dit. La logique fera le reste.

Le livre de M. Voisin est plein de chaleur et d’entraînement ; mais dans le feu de la période le soin du détail lui échappe souvent. L’auteur semble quelquefois s’enivrer de son sujet, et l’ampleur de la phrase se développe aux dépens de la précision et de l’enchaînement rigoureux des idées. Il y a beaucoup à apprendre dans cet ouvrage, et, quelque opinion que l’on ait sur la doctrine