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THÉÂTRE ESPAGNOL.

vait contre les coupables se change en pitié, la pitié en regret : de là les mécontentemens et les troubles. La justice est un attribut de la Divinité, il faut qu’à son exemple ceux qui l’exercent inspirent le respect et non pas l’horreur. Si le roi avait auprès de lui un homme comme moi, qui veillât avec zèle au soin de sa gloire et au repos de l’état, je crois que Séville serait bientôt pacifiée.

Le Roi. — Que dites-vous ?

Jean Pascal. — Je dis que je me suis laissé emporter par mon zèle de sujet dévoué, et que c’est mon cœur qui a parlé.

L’arrivée d’un des gentilshommes de la suite du roi fait connaître à Jean Pascal quel est l’hôte avec qui il vient de s’entretenir si familièrement. Le roi lui déclare qu’il compte sur ses services, dont il vient en quelque sorte de lui faire la proposition, et qu’il veut le charger du gouvernement de sa capitale. Jean Pascal, sans se rétracter, sans se perdre en protestations de modestie, objecte pourtant l’humilité de sa condition. — Qu’importe ? lui répond don Pèdre, ce que je cherche, c’est une tête : je la trouve en vous. Quant à votre sang, vous saurez bien lui donner l’illustration qui peut lui manquer encore. C’est ainsi que tout a commencé.

Jean Pascal. — Réfléchissez-y bien, sire, je suis opiniâtre ; ce qu’une fois j’aurai décidé par voie de justice, aucun ordre ne me le fera révoquer.

Le Roi. — Tout ce que vous ferez, je le tiendrai pour bon.

Jean Pascal. — Sachez bien que celui que j’aurai trouvé coupable, je le châtierai sans aucune exception, sans permettre qu’on dénature la loi par des interprétations subtiles.

Le Roi. — N’épargnez pas même ma maison. Est-ce assez ?

Jean Pascal. — Vous me pressez beaucoup, prenez-y garde, je finirai par accepter.

Le Roi. — Jean Pascal, ce qui est dit est dit.

Jean Pascal. — Eh bien ! s’il n’y a pas de remède, j’y consens.



Cette belle scène contient toute la pensée du drame, elle en est pour ainsi dire le programme. Tout l’intérêt réside dans le contraste que présentent les caractères et la position des deux personnages principaux. Jean Pascal, à peine installé dans ses fonctions d’assistant, devient par l’énergie de son administration, par la vigilance, la sagacité, la vigueur sage et modérée de sa justice, la terreur des criminels et l’espoir des gens de bien. Bientôt Séville a changé d’aspect ; mais ce n’est pas seulement contre les malfaiteurs qu’il a à lutter. Le roi lui-même lui suscite des obstacles plus difficiles à surmonter. Don Pèdre n’est plus le héros du Médecin de son honneur, du Vaillant Justicier ; il est bien plus avancé dans les voies funestes qui doivent le conduire à sa perte. Déjà le meurtre et les violences de toute nature se présentent à lui comme des moyens naturels de venger ses injures, de calmer ses inquiétudes, de satisfaire ses passions. Irrité des complots qui s’ourdissent contre lui et auxquels à tort ou à raison le nom de sa femme et de son frère se trouvent toujours mêlés, c’est par leur mort qu’il veut y mettre fin ; c’est aussi