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THÉÂTRE ESPAGNOL.

s’arrêtent les romances, parce que les évènemens ne présentent plus rien qui s’accommode à leur naïve allure. Le drame lui-même n’y trouve plus d’aussi heureuses ni d’aussi abondantes inspirations. Cependant des circonstances particulières à l’Espagne, et qui, au milieu de la carrière nouvelle où elle s’engageait avec tant de grandeur, lui conservaient quelques traits de sa physionomie romanesque des âges précédens, devaient encore fournir matière à de brillantes conceptions dramatiques. La guerre contre les Maures, terminée en Europe, se prolongeait sur la côte d’Afrique avec ce caractère de lutte religieuse si propre à exalter les imaginations. L’Amérique, récemment découverte et non encore explorée, offrait à tous les aventuriers espagnols une carrière illimitée où se précipitaient tous ceux qui, à un indomptable courage, à une inébranlable fermeté et à un esprit fécond en ressources, joignaient une vaste ambition et un désir immodéré de fortune, qu’ils ne croyaient pas pouvoir satisfaire par des voies régulières. La soif de l’or et toutes les passions les plus violentes s’y déployaient avec d’autant plus de liberté qu’elles se décoraient, aux yeux même de ceux qui s’y abandonnaient, de la réalité ou du prétexte de plus nobles sentimens auxquels ils les associaient. L’idée de gagner à la foi chrétienne des nations plongées jusqu’alors dans les ténèbres de l’idolâtrie, celle d’ajouter de vastes et riches contrées à la monarchie de Charles-Quint, étaient bien propres à exalter les imaginations. Elles jetaient un merveilleux coloris sur le récit de ces incroyables entreprises où une poignée d’Européens allaient à d’immenses distances, sous des climats inconnus, vaincre et conquérir des populations dont on se plaisait à s’exagérer encore le nombre et la force.

Il suffit de lire quelques-uns des drames dont les conquérans de l’Amérique sont les héros, par exemple, ceux que Tirso de Molina a composés sur les exploits des Pizarres, pour se rendre compte de l’impression profonde que ces aventures extraordinaires faisaient alors sur les esprits. Sous l’empire de l’admiration qui s’attachait à d’aussi prodigieux succès, on accueillait avec un avide empressement toutes les inventions que la crédulité et l’imposture ajoutaient à une réalité déjà si étonnante. L’Amérique était pour les esprits prévenus comme un pays de miracles où les lois de la nature étaient renversées ; on voyait dans ses conquérans l’équivalent de ce qu’étaient, aux yeux de l’antiquité, les guerriers des temps héroïques, des hommes doués d’une force physique et morale tellement au-dessus des proportions communes et d’une si inébranlable résolution, que rien ne leur était impossible, que les obstacles résultant du nombre, des distances, de la fatigue, des besoins physiques, disparaissaient en quelque sorte devant eux.

Le plus intéressant, à mon gré, de ces drames américains, c’est la Conquête de l’Araucanie, de Lope de Vega. Le sujet est le même que celui du fameux poème épique d’Ercilla. C’est une véritable chronique où aucune circonstance n’est omise, où tous les incidens, sans en excepter le supplice du chef de l’insurrection, sont mis sous les yeux du spectateur dans l’ordre exact où ils sont survenus. Malgré ce qu’il y a de peu dramatique dans une telle marche, malgré