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THÉÂTRE ESPAGNOL.

de Crato, espérant se soustraire au supplice qui le menace, s’est enfin décidé à tout avouer. Ainsi dénoncé et trahi, Gabriel ne se déconcerte pas. Il feint, il est vrai, d’avouer à son tour l’imposture dont il s’est rendu l’instrument ; déjà le juge et les témoins qu’il a réunis pour entendre cette confession commencent à se croire en possession de la vérité ; mais tout à coup l’intrépide aventurier, par quelques paroles pleines d’une audace ironique et mystérieuse, les rejette dans leurs hésitations, les met au point de douter si le récit qu’il vient de leur faire n’est pas une raillerie par laquelle il s’est joué de leur crédulité, et, ranimant la foi un moment ébranlée de ses partisans, augmente encore, s’il est possible, l’intensité de leurs illusions. Conduit enfin à l’échafaud, il y marche avec une fermeté que n’éprouve pas, dans ses incertitudes, le juge même qui l’y envoie.

Il est inutile, je pense, de signaler ce qu’il y a de saisissant, de profondément dramatique dans cette combinaison. Le caractère du Pâtissier de Madrigal est un des plus remarquables et des plus originaux qu’il y ait à la scène. Tel est l’art avec lequel le poète en a ménagé les effets, qu’à la lecture, à la représentation, surtout lorsque le rôle est joué avec quelque intelligence, le lecteur, le spectateur, bien qu’averti dès les premières scènes, se surprend par moment à partager les doutes de l’alcade. Je me demande pourquoi l’auteur de ce drame n’a pas augmenté encore la puissance d’une conception aussi complètement neuve en laissant planer quelque mystère sur la personne du faux Sébastien. Peut-être eût-il craint de paraître révoquer en doute la légitimité des droits de l’Espagne sur le Portugal. On le voit, en effet, dans quelques passages, proclamer avec une sorte d’emphase la justice des prétentions de Philippe II.

Passé le règne de Philippe II, l’histoire ne présente plus un fait ni un personnage qui ait été mis sur la scène d’une manière un peu remarquable. Cela se comprend. C’est précisément sous Philippe III, sous Philippe IV, sous Charles II, qu’écrivaient les poètes dramatiques. Il ne leur était guère possible de montrer leurs contemporains sur le théâtre ; d’y transporter les détails des évènemens dont le public venait d’être témoin. Cependant ces évènemens leur ont fourni fréquemment l’occasion d’allusions et de récits épisodiques qui sont loin d’être sans intérêt. On voit très habituellement, dans des comédies dont l’action n’a d’ailleurs rien d’historique, quelque officier arrivant, soit d’une expédition sur la côte d’Afrique, soit d’une campagne en Italie, soit surtout de la Flandre, ce théâtre d’une interminable lutte contre les Français et les Hollandais, cette école si fameuse de l’art de la guerre, raconter dans un langage pompeux, et avec toutes les exagérations du style castillan, la dernière bataille, le dernier siége, livré ou soutenu par les armes espagnoles, et exalter bien au-dessus de tous les héros de l’antiquité tel prince et tel capitaine aujourd’hui presque oubliés. Souvent aussi le poète place dans la bouche d’un de ses personnages la relation non moins prolixe, non moins fastueuse, de certaines solennités publiques, par exemple de l’entrée et du mariage d’une princesse. Est-il nécessaire d’ajouter que, dans ces récits, toutes les princesses sont des