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LITTÉRATURE ANGLAISE.

tout au fond, bien tranquilles, bien calmes, heureux de leur climat, de leur Polichinelle, de leur Bellini, heureux de tout, hélas ! et dévorés par ce bonheur de l’atonie, qui est le dernier malheur des nations. Les Espagnols, seconds fils de la civilisation moderne, se déchirent les entrailles et se rongent les poings, comme Ugolin, avant d’aboutir au grand calme de l’Italie et à la plénitude de la mort. Sur la même pente, mais plus vivement agités, vous apercevez d’autres peuples qui espèrent, qui s’agitent, qui chantent, qui jouissent, qui frémissent, et qui croient, avec des chemins de fer et des écoles, ressusciter la flamme sociale vacillante et palpitante. L’Angleterre elle-même, dépouillée de son énergie saxonne et de son ardeur puritaine, déjà veuve de sa force littéraire, de ses Byron et de ses Walter Scott, que deviendra-t-elle dans cent années ? Dieu le sait !

Et quand même les symptômes annoncés par les philosophes seraient exacts, quand même, dans ce vaste courant galvanique de destruction et de reconstruction qu’on appelle l’histoire, l’Europe tout entière, l’Europe de douze cents ans, avec ses lois, ses mœurs, ses origines, ses idées, son double passé teutonique et romain, son orgueil, sa vie morale, sa puissance physique, ses littératures, devrait s’alanguir et s’assoupir, comment pourrait-on s’en étonner ! Quand elle serait destinée à subir le sort qui brisa jadis le monde grec, puis le monde romain, tous deux moins grands en circonférence et en durée que notre Europe chrétienne ; quand même les fragmens du vieux vase devraient être un jour mis en pièces et broyés pour servir à pétrir un vase nouveau, de quoi aurions-nous à nous plaindre ? Cette civilisation que nous appelons européenne, n’a-t-elle pas assez duré dans le temps et dans l’espace ? Et le globe manque-t-il de régions plus naïves et plus neuves qui accepteront, qui acceptent notre héritage, comme jadis nos pères ont accepté celui de Rome lorsqu’elle eut accompli son destin ? L’Amérique et la Russie ne sont elles pas là ? Deux contrées avides d’entrer en scène, deux jeunes acteurs qui veulent être applaudis ; toutes deux ardemment patriotiques et envahissantes ; l’une héritière unique du génie anglo-saxon, l’autre qui avec son esprit slave, éminemment ductile, s’est mise patiemment à l’école des nations néo-romaines, et veut en continuer la dernière tradition ? Est-ce que, derrière la Russie et l’Amérique, vous ne voyez pas d’autres pays encore, qui pendant des millions d’années continueront, s’il le faut, ce travail éternel de la civilisation ?

Il n’y a point à désespérer de la race humaine et de l’avenir, quand