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le sens intime, mis à part comme une faculté détachée, n’est qu’un être de raison. « Le sujet et l’objet, dit-il très bien, ne nous sont connus que dans leur corrélation et leur opposition. Toute conception du moi implique nécessairement une conception du non-moi ; toute perception de ce qui est différent de moi implique une connaissance du sujet percevant comme distinct de l’objet perçu. Dans tel acte de connaissance, il est vrai, l’objet est l’élément prédominant ; dans tel autre, c’est le sujet ; mais il n’en existe aucun où l’un soit connu hors de sa relation avec l’autre. »

Ainsi les phénomènes subjectifs internes, isolés de tout élément objectif (au moins imaginé), sont de pures abstractions, où il n’y a rien de réel, tout-à-fait creuses et vaines.

Aristote, Stahl, Kant, ont successivement établi qu’il n’y a point de pensée distincte sans quelque image représentée en quelque étendue. On peut donc donner un sens très vrai à cette proposition de Bacon : Mens humana si agat in materiam, naturam rerum et opera Dei contemplando, pro modo materiæ operatur atque ab eadem determinatur ; si ipsa in se vertatur, tanquam aranea texens telam, tunc demum indeterminata est, et parit telas quasdam doctrinæ, tenuitate fili operisque mirabiles, sed quoad usum frivolas et inanes. Condamnée par les Écossais, elle condamne au contraire leur psychologie abstraite. Ainsi, au lieu de faire honneur à Bacon, en dépit de lui-même, de l’invention d’une méthode également et parallèlement applicable aux phénomènes internes et aux phénomènes externes, il faut mettre sa gloire comme philosophe où il l’a voulu mettre, dans la condamnation de ce qu’on pourrait appeler la phénoménologie abstraite du sens intime.

Mais, d’un autre côté, est-il vrai, comme le croit M. Hamilton, qu’il n’y ait à faire entre la perception des objets extérieurs et la conscience de ce qui nous est propre aucune distinction solide, et qu’au mot de perception on puisse substituer indifféremment celui de conscience ? Locke avait judicieusement distingué de la connaissance des objets (qu’il appelait sensation) ce qu’il nomme la réflexion. Il avait bien vu que la réflexion n’est pas une faculté de connaître subsistant à part avec des objets séparés : il l’avait définie la connaissance que prend l’ame de ses opérations sur ses perceptions mêmes. Mais il ne l’en avait pas moins distinguée de la perception comme un élément original. Il ne faut pas séparer ce qui est lié en une unité vivante, mais il faut distinguer dans le sein même de cette unité ce qui est distinct. La connaissance complète, la connaissance humaine n’est