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ne pourrait que subir un affront ou se jeter, coûte que coûte, dans la plus déplorable des guerres, dans la guerre révolutionnaire.

Ces réflexions sont vulgaires, nous nous empressons de le reconnaître ; nous ne les méprisons pas, toutefois, convaincus que nous sommes que la saine politique n’est que du gros bon sens. L’histoire a mille fois prouvé qu’il en est du gros bon sens comme des gros bataillons. Il finit presque toujours par avoir raison.

Au surplus, et le bon sens, et la plus fine sagacité, et la prudence, ne manqueront pas dans le nouveau cabinet. Nous ne nous défions pas des hommes ; nous sommes inquiets de l’état des choses, de la pente sur laquelle le cabinet s’est placé. La question extérieure ne se présente plus à nos yeux dégagée de la question intérieure ; elles vont bientôt, nous le craignons du moins, se rattacher l’une à l’autre et rendre ainsi la situation de plus en plus compliquée et difficile.

Ce n’est pas chez nous une opinion nouvelle, une pensée conçue à l’occasion de la dernière crise ministérielle ; nous l’avons toujours dit, et sous le ministère du 12 mai et lors de la crise qui enfanta le 1er mars : l’union des conservateurs avec le centre gauche et tout ce qu’il y a de gouvernemental dans la gauche constitutionnelle, un gouvernement assis sur cette base large et solide, peuvent seuls donner au pays toute la puissance dont il a besoin pour contenir sans lutte et sans danger la révolution à l’intérieur, la contre-révolution au dehors, c’est-à-dire pour assurer le repos de la France et la paix de l’Europe. Nous avons toujours fait des vœux bien ardens et bien inutiles, il est vrai, pour que toutes les opinions constitutionnelles et monarchiques puissent se rencontrer sur le même terrain et agir dans le même but général, tout en reconnaissant qu’il pouvait se trouver des différences notables dans les questions secondaires d’administration et de législation.

Le 12 mai réalisait, pour ainsi dire, en miniature notre pensée ; si M. Thiers s’y fût trouvé à côté de M. Dufaure, et M. Guizot à côté de M. Cunin-Gridaine, suivis chacun de son armée, le problème aurait été à peu près résolu. M. Thiers, M. Dufaure, M. Passy, auraient pu servir d’intermédiaires entre les conservateurs et la gauche gouvernementale, et lui préparer une participation équitable dans l’administration du pays.

Au 1er mars, c’était sous l’empire de la même pensée que nous avons adjuré les conservateurs de ne pas repousser le cabinet de M. Thiers, de ne pas le forcer, malgré lui, à s’appuyer principalement du centre gauche et de la gauche, de lui permettre de prendre une position impartiale, élevée, autour de laquelle il aurait rallié les hommes gouvernementaux de toutes les opinions constitutionnelles. Qu’y avait-il là d’insurmontable pour un cabinet qui comptait au nombre de ses membres MM. De Rémusat, Jaubert, Cousin, et qui avait pour ambassadeur à Londres M. Guizot ? Rien, abstraitement parlant ; en fait, un obstacle énorme, invincible, les passions des hommes, des animosités invétérées, des rivalités haineuses, et cet oubli des grandes choses et des plus nobles intérêts qui n’est que trop le caractère de notre temps, le signe de notre incrédulité et de notre lassitude.