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Gênes paraît avoir été pour lui le point central de ses opérations et de ses voyages. En quittant Tunis, il revint dans cette ville, après quelques mois de repos employés à perfectionner sa méthode, il partit pour Naples et y enseigna publiquement sa nouvelle introduction aux sciences, autre forme de son grand art.

Cette époque (1293) fut marquée par un évènement très important dans la vie scientifique de Raymond Lulle. À Naples, où il n’était venu que dans l’intention de répandre ses doctrines, il retrouva un homme fort célèbre, avec lequel il avait eu déjà des relations à Montpellier et à Paris, Arnaud de Villeneuve, le plus savant chimiste de ce temps. Il s’en fallait bien que Raymond Lulle fût précisément étranger à l’art de la transmutation des métaux : en lisant les auteurs arabes dans sa solitude de Randa, il avait nécessairement acquis des connaissances théoriques sur cette matière ; mais il lui manquait la pratique, il n’était pas encore artiste, lorsqu’en se trouvant avec Arnaud de Villeneuve à Naples, il prit goût à cette science, se lia d’amitié avec le savant chimiste, reçut de lui des conseils, et même, à ce que l’on dit, le secret de la transmutation des métaux et l’art de faire de l’or. Quelles que soient l’importance et la réalité de ces prodigieuses confidences, le résultat des entretiens scientifiques d’Arnaud de Villeneuve avec Raymond Lulle à Naples fut que le missionnaire devint aussi habile chimiste que son maître.

On n’a sans doute pas oublié la distinction que j’ai établie en commençant entre les alchimistes et les chimistes. Raymond Lulle était de ces derniers, et sans m’engager ici dans une histoire de la science hermétique, je dois cependant, pour faire connaître le rang que notre missionnaire y occupe, indiquer les noms et les travaux des hommes les plus distingués qui l’ont précédé dans les études chimiques depuis le VIIIe siècle.

Cette science, déjà connue dans l’antiquité, fut transmise aux Européens par les Arabes. Le plus ancien chimiste de cette nation, parmi les véritables savans, est Geber, qui vivait vers l’an 730 de notre ère. Il reste de lui un assez grand nombre d’ouvrages, dont les plus importans sont : 1o Somme de la perfection du grand œuvre, Summa perfectionis magisterii ; 2o Livres de la recherche du grand œuvre, Libri investigationis magisterii ; 3o enfin le Testament de Geber, philosophe et roi de l’Inde, Testamentum Gebri philosophi et Indiæ regis. Le premier ouvrage traite de l’essence, des espèces diverses, de la sublimation et calcination des minéraux, des préparations qu’on peut leur faire subir et de l’emploi de ces corps dans les opérations