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practica artis generalis, modification nouvelle de sa méthode de penser et de raisonner. Dans les années suivantes jusqu’à 1304, il faut le suivre encore à Paris, où il dispute victorieusement avec Jean Scot, dit le docteur subtil, puis à Lyon et à Montpellier, lieux où, tout en professant publiquement ses doctrines, il refondit de nouveau presque en entier son art général.

Cependant le saint siége allait être transporté de Rome à Avignon. Un pape français, Bertrand de Goth, Clément V, élevé à cette dignité par l’influence de Philippe-le-Bel, gouvernait l’église et se trouvait à Lyon lorsque notre aventureux philosophe s’y rendit. Raymond Lulle, dont les espérances se ranimaient toujours à la nomination d’un nouveau pape, s’empressa d’aller saluer Clément V, à qui il soumit de nouveau, mais inutilement encore cette fois, son projet d’écoles pour les langues orientales. Le malheur voulut qu’il entretînt le pontife de cette affaire au moment où le successeur de saint Pierre, qui venait d’acheter sa dignité du roi de France par toute sorte de promesses, n’avait dans l’esprit qu’une seule préoccupation, celle de les éluder. Ce nouvel échec ne ralentit pas plus le zèle de Raymond que ceux qu’il avait déjà essuyés en tant d’occasions. À l’instant même il s’engage dans une entreprise plus vaste, plus dangereuse, que toutes celles qu’il eût encore tentées. Après avoir pris civilement congé de Clément V, il quitte Lyon, va à Maïorque, met ordre à ses affaires et à celles de sa famille, et passe en Afrique dans l’intention de donner un témoignage éclatant de son zèle, en essayant seul, et selon ses forces, la conversion des musulmans. En effet, il se rendit à Bougie, où l’on assure qu’après avoir souffert tous les genres d’opprobres de la part du peuple, il parvint cependant, à force de courage et de patience, à convertir dans cette ville soixante-dix philosophes attachés aux doctrines d’Averroës. Après ce succès, ajoutent les auteurs de sa vie, il se dirigea vers Alger, où il convertit encore plusieurs infidèles à la foi catholique. Mais ces succès ne tardèrent pas à le rendre suspect, et les imans le firent jeter en prison. Dans son cachot même, il donna des preuves de son opiniâtreté courageuse ; il chercha à parler et à instruire ceux à la garde de qui il était confié, et son éloquence inspira encore assez d’ombrage pour qu’on lui mît un bâillon afin de lui ôter l’usage de la parole, et qu’on le privât de nourriture pendant plusieurs jours pour diminuer l’activité de son esprit et de son courage. Toutefois, ces traitemens cruels ne produisant pas sur