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LETTRES DE MADAME ROLAND.

se dire en nouvelles, en histoires, pour ravigoter les imaginations engourdies, et détourner les conversations de chapitre qui m’endorment parfois : voilà ma vie. » Et un peu plus loin : « J’aime cette tranquillité qui n’est interrompue que par le chant des coqs ; il me semble que je palpe mon existence ; je sens un bien-être analogue à celui d’un arbre tiré de sa caisse et replanté en plein champ. » Dans tout ceci, le style est autre, ou mieux il n’est plus question de style ; il n’y a plus d’écolière ; elle cause : sa leçon de rhétorique est finie.

Il faut le dire pourtant, ce n’a pas été tout-à-fait trahir l’intention de la jeune fille qui les écrivait, que de publier en totalité ces lettres. En plus d’un passage, il est clair qu’elle songe à l’usage qu’on en peut faire. On aperçoit le bout d’oreille d’auteur. Si une lettre, par malheur, se perd en chemin, ce sont des regrets, des recherches infinies. Quand elle parle de son barbouillage, est-ce bien sérieux ? « Et puis qu’importe notre façon d’écrire ! en composant mes lettres (donc elle les compose), ai-je l’espoir qu’après ma mort elles trouveront un éditeur et prendront rang à côté de celles de Mme de Sévigné ? Non, cette folie n’est pas du nombre des miennes ; si nous gardons nos barbouillages, c’est pour nous faire rire quand nous n’aurons plus de dents. » Et encore, au moment des confidences les plus tendres et les plus secrètes d’un cœur qui se croit pris : « Décachète la lettre, fais-en lecture, songe à mes tourmens, aux siens… et vois si tu dois l’envoyer. Mais, dans tous les cas, ne brûle rien. Dussent mes lettres être vues un jour de tout le monde, je ne veux point dérober à la lumière les seuls monumens de ma faiblesse, de mes sentimens. » Allons, puisqu’on nous le permet et qu’on nous y invite même, pénétrons dans l’intérieur virginal où il lui plaît de nous guider.

L’unité de cette correspondance, que quelques suppressions eussent mieux fait ressortir, est dans l’amitié de deux jeunes filles, dans cette amitié d’abord passionnée, au moins chez Mlle Phlipon, et qui, partie du couvent, avec ses petits orages, ses incidens journaliers, ses hausses et ses baisses, s’en vint, après quelques années, expirer au mariage : et quand je dis expirer, je ne veux parler que de la forme, vive et passionnée, car le fond subsista toujours. Même avant cette fin de la passion d’amitié, on la voit subir un échec, une variation assez sensible vers la fin du premier volume, sitôt qu’un premier sentiment d’amour s’est venu loger dans le cœur qui d’abord n’avait pas de partage. Mais il faut serrer de plus près le début et procéder par nuances. Mlle Phlipon a dix-huit ans, elle est depuis long-temps formée, elle est dévote encore. Les lettres de 1772 à Sophie sont