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DE L’HUMANITÉ.

un redoutable écueil pour l’écrivain que ces synthèses sans horizon et sans rivage. L’immensité devant laquelle il se place le rapetisse, et c’est en se plongeant dans l’universalité des choses qu’il rencontre le néant. L’esprit ne jouit de toute sa force qu’à la condition de la ramasser et de la concentrer sur des points distincts. C’est à travers des formes arrêtées, que leur précision rend lumineuses, qu’il va plus sûrement à l’infini, et l’art seul peut le conduire à une vaste contemplation du vrai.

Ces considérations sur les avantages de la méthode ont peu préoccupé M. Leroux, et avec la connaissance que nous avons de son esprit, nous n’en sommes pas étonné. Des notions nombreuses sur beaucoup de choses, mais acquises d’une manière un peu confuse, plus de fougue dans l’esprit que de vigueur, plus d’impétuosité pour courir après les idées que de puissance pour les maîtriser et les traduire, plus de pétulance dans l’imagination que de critique dans le jugement, toutes ces propriétés diverses d’une intelligence distinguée, mais incomplète, expliquent l’allure désordonnée de l’ouvrage sur l’Humanité. M. Leroux n’a pas, à proprement parler, écrit un livre, mais un énorme article destiné dans l’origine à un dictionnaire. Aussi vous y trouvez le mélange de tous les tons : tantôt vous croyez lire un lambeau de dissertation chronologique appartenant à l’école de Fréret, tantôt vous rencontrez des tirades déclamatoires qui signalent un disciple de Rousseau ; vous passez de l’axiome le plus abstrait à une apostrophe imprévue, et vous vous agitez dans un chaos qui ne se laisse pas débrouiller sans travail. Ne cherchons donc pas dans l’Humanité de M. Leroux une œuvre d’art ; la lecture de l’ouvrage est laborieuse même pour ceux que d’ordinaire l’appareil métaphysique ne rebute pas.

Quant au fond des idées, l’auteur appartient à l’école du saint-simonisme ; il en célèbre le fondateur ; il en reproduit les formules avec des transformations sur la convenance desquelles nous nous expliquerons tout à l’heure. Il ne peut y avoir de doute sur la position philosophique prise par M. Leroux : à l’exemple de M. Buchez, il se présente comme élève de l’école française de Condorcet et de Saint-Simon ; mais, moins exclusif que son émule dans le saint-simonisme, il associe à Condorcet et à Saint-Simon Pascal, Charles Perrault, Fontenelle, Bacon, Descartes, Leibnitz et Lessing. M. Leroux invoque le témoignage de ces penseurs pour établir en principe que l’homme est perfectible. Videtur homo ad perfectionem venire posse, a dit Leibnitz. Pascal a écrit que le genre humain est un même