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bientôt les expier. Déjà les Brigands lui avaient imposé le fardeau d’une dette qu’il ne savait comment acquitter. L’édition entière était vendue, mais les bénéfices étaient pour le libraire. La publication de l’Anthologie venait d’accroître encore cette dette, et ce qu’il y avait de plus triste, c’est que le grand-duc, de qui Schiller dépendait entièrement ainsi que sa famille, n’avait été frappé, dans toute la rumeur produite par l’apparition des Brigands, que du reproche d’immoralité adressé à cette pièce. Des hommes malveillans lui firent entendre aussi qu’elle renfermait plusieurs allusions offensantes à l’état de sa cour. Schiller l’avait déjà mécontenté par une ode écrite sur la mort d’un officier. Deux lignes fort innocentes des Brigands firent éclater son humeur. Au second acte, Spiegelberg, en racontant ses prouesses, dit à un de ses camarades : « Va dans le pays des Grisons, c’est l’Athènes actuelle des filous. » Un Grison écrivit à ce sujet un violent article dans le Correspondant de Hambourg. Un nommé Walter, ennemi particulier de Schiller, qui espérait obtenir le droit de bourgeoisie parmi les Grisons, se mêla de l’affaire, et la présenta au grand-duc sous les couleurs les plus fausses. Le duc, irrité, ordonna à Schiller, sous peine de prison, de ne plus faire imprimer aucun ouvrage, à moins que ce ne fût un ouvrage de médecine, de n’entretenir aucune relation au dehors, et de s’astreindre au strict accomplissement de ses devoirs.

Cet ordre frappa le pauvre écrivain comme un coup de foudre. Animé par le succès de ses Brigands, il rêvait alors de nouvelles œuvres ; il avait entrepris, avec deux de ses amis, la publication d’un recueil littéraire, il écrivait des élégies et des dissertations critiques ; il commençait déjà à parler à Dalberg du drame qu’il lui présenterait bientôt : la Conjuration de Fiesque ; et tout à coup le voilà soumis à une censure sans restriction et sans examen, condamné à étouffer en lui sa pensée, à renoncer à tout ce qui faisait sa gloire, sa joie, son espérance, pour s’enfermer servilement dans le cercle étroit d’une occupation monotone

Peu de temps après, il aggrave encore sa situation, en faisant de nouveau à la dérobée le voyage de Mannheim. Cette fois le duc le sut et le mit aux arrêts, en lui adressant de vives réprimandes. Schiller se tourna avec anxiété du côté du baron Dalberg. Il espérait que cet homme qui, par sa naissance, par sa position, avait de l’influence, pourrait intercéder pour lui auprès du prince, et adoucir l’arrêt qui lui défendait d’écrire. Il adressa dans ce sens une longue et touchante lettre au baron, et reçut une réponse polie, mais qui ne promettait